Pluies dévastatrices : une nouvelle expression du risque d’inondation
En juillet 2021, alors que le sud de l’Europe endurait un blocage anticyclonique caniculaire, l’Europe de l’Ouest a connu un enchaînement de « gouttes froides » à l’origine de passages perturbés. Si ces précipitations ont été bénéfiques à la végétation, elles ont aussi pris la forme de pluies dévastatrices affectant tout particulièrement l’Allemagne et la Belgique.
Crise de la COVID-19 : prévenir de futurs désastres en repensant nos modèles
"On pourrait dire que le bonheur contient le malheur tout en étant son contraire, en prenant le verbe « contenir » dans son double sens de faire barrage et d’avoir en soi."
Jean-Pierre Dupuy, La catastrophe ou la vie, pensées par temps de pandémie, mars 2021
Les apprentissages de la COVID-19 : la dynamique globale
Alors qu’en 2019 le monde prend plus que jamais conscience de l’urgence climatique, c’est une pandémie qu'il affronte en 2020. Depuis bientôt un an, cet événement - majeur par ses effets, inédit par son ampleur, ses avatars et sa durée - est placé sous les feux de l'actualité. Ces feux tout à la fois cristallisent les inquiétudes et nourrissent les espoirs suscités par une situation contrôlée sans être encore maîtrisée. En ce début d'année 2021, apprendre de façon distanciée est cependant nécessaire pour se démarquer des contingences d'une épreuve dont les développements à venir restent inconnus. Poursuivant cet objectif d'une prise de recul sur la crise de la COVID-19 et sa gestion, cet article traite du développement de la dynamique globale induite par le coronavirus et campe la situation en ce début d'année 2021.
1-Une crise globale marquée du sceau de la complexité
Associée à l’année 2020, la pandémie de la COVID-19 [a] trouvera une place de choix dans le panorama des catastrophes ayant marqué l’histoire de l’humanité. S’il est trop tôt pour estimer le nombre de victimes directes d’une infection encore très active début 2021 [b], l’on sait déjà que le bilan humain sera lourd dans un certain nombre de pays. De plus, le virus aura perturbé - en profondeur et durablement - la vie des personnes, des organisations et des territoires. De nombreux indicateurs témoignent des dommages humains, économiques et sociaux majeurs d’une crise sanitaire sans équivalent depuis un siècle par son ampleur et sa durée. En même temps, les multiples enseignements produits sont précieux pour réduire les vulnérabilités collectives et individuelles, qui peinaient préalablement à être prises en compte ou simplement reconnues, et pour favoriser des sociétés plus résilientes.
Au-delà des dommages directs et indirects, la crise virale a bousculé les choses. Si des solidarités se sont exprimées, si des aides sont apportées, l’inquiétude prévaut car les références antérieures à la survenue de la pandémie se sont brouillées sans que de nouveaux repères n’aient véritablement pris la relève. A court terme, les modes de vie et les activités se sont fortement contractés sans que l’on sache ce qu’il sera possible de faire demain dans l’incertitude du devenir de la contrainte sanitaire.
Les analyses disciplinaires de la crise témoignent pour beaucoup du désarroi ambiant. Ainsi, si le philosophe Bernard-Henri Lévy retient du virus qu’il rend fou [c], l’écrivain et philosophe Roger-Pol Droit, reprenant à son compte la phrase de Nietzsche « ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude », relève que nous avions préalablement beaucoup de folies à cause de certitudes qui se révèlent maintenant fragiles [d]. Là où le géographe Michel Lussault diagnostique un virus « hyper-spatial », l’historien Jean-Noël Jeanneney fait valoir la façon dont l’agent infectieux donne lieu à une métaphore guerrière [e]. Considérant que les politiques et les intellectuels sont justement en retard d’une guerre, le prix Nobel d’économie Jean Tirole [f] regrette qu'un fossé se soit creusé entre notre perception du monde et sa réalité.
S’entrecroisant sans toujours se rencontrer, les regards portés par les personnalités qualifiées ne suffisent pas à rendre compte de la texture kaléidoscopique de la crise pandémique, tout simplement marquée du sceau de la complexité.
Reste que cette crise ne peut être dissociée des changements globaux en cours. A l’occasion de la première journée internationale de préparation aux épidémies, le 27 décembre 2020, le directeur général de l’OMS invite les États à s’atteler aux causes profondes des dérèglements sanitaires. Pour Tedros Adhanom Ghebreyesus, la pandémie met en évidence les liens intimes entre la santé des humains, des animaux et de la planète.
2- Dans le monde, l'émergence du phénomène infectieux et sa propagation
Si la pandémie de la COVID-19 est souvent comparée à une inondation qui submerge par vagues successives ceux qui y sont exposés, son émergence, comme aléa territorial, s’apparente davantage à la propagation d’un incendie de forêt dont la maîtrise n’a pas été assurée à son éclosion. A défaut d’être contenu dans ses premiers développements, le feu peut poursuivre son œuvre destructrice tant qu’il trouve de la matière combustible à consommer.
Sans qu’il s’agisse ici de s’avancer sur les facteurs ou les raisons vraisemblablement multiples qui ont présidé à l’émergence de la pandémie, sa diffusion initiale révèle l'absence d’activation ou l'insuffisance de barrières qui auraient pu la circonscrire à la source. Faisant fi des dispositifs de détection précoce et de surveillance, l’agent infectieux 2019-nCov, désigné par la suite sous l’acronyme COVID-19 (Corona Virus Disease 2019), s’est rapidement propagé à l’échelle planétaire début 2020. Quelques jalons chronologiques connus sont utiles à rappeler.
Le 31 décembre 2019, la Commission sanitaire municipale de Wuhan (Chine, province de Hubei) signale un groupe de cas de pneumonies. Quelques jours après, le 11 janvier 2020, la Chine rend publique la séquence génétique du virus de la COVID-19. Dans les jours qui suivent, le 22 exactement, le premier constat d’une transmission interhumaine est établi mais, alors que cette donnée doit encore être confirmée, le virus a déjà diffusé sur la planète.
En effet, dès le 13 janvier, une occurrence de la maladie est signalée en Thaïlande, tandis que le virus se manifeste aux États-Unis le 22. Il a parallèlement diffusé en Europe : des premiers cas sont identifiés en France le 24, puis en Allemagne le 27, encore en Italie et au Royaume-Uni le 31 et en Espagne le 1er février. En un mois seulement à partir de sa révélation, les conditions initiales d’une pandémie sont remplies. Si fin janvier, la très grande majorité des 7 818 cas signalés par l’OMS se situent en Chine, foyer initial de l’épidémie, 82 cas hors de Chine se répartissent dans 18 autres pays. Le virus a essaimé.
Pour lutter contre la diffusion de la COVID-19 en son sein, la Chine applique des mesures sanitaires drastiques. Elle met également à l’arrêt son activité, faisant par-là même craindre des répercussions majeures en cascade sur l’économie mondiale dont elle détient de nombreuses chaînes de valeurs. Ces mesures portant leurs fruits, l’économie chinoise repart. Le PIB s’effondre au 1er trimestre puis se redresse les trimestres suivants. Aux États-Unis et en Europe, l’épidémie n’est pas contenue et poursuit sa dynamique infectieuse.
En l’absence d’une réplique internationale coordonnée, confrontés à l'inédit de la situation, les États européens apportent des réponses distinctes. Souvent hésitantes, ces réponses sont tributaires des évolutions d’une dynamique infectieuse se déployant à une échelle continentale. Les temporalités de gestion s'entrechoquent dans une ingénierie du temps compté (François Ascher) mêlant l’urgence de la crise aux mesures plus structurelles de prévention du risque sanitaire. Face à l’éclosion de situations critiques, la résilience se révèle une modalité d’action adaptée pour passer les caps les plus difficiles.
3- En France, de la réponse sanitaire à une réponse plus globale
Une stratégie sanitaire devient sanitaire et territoriale
Une fois l’agent infectieux diffusé, sa dynamique prévaut sur la gestion sanitaire tant qu’un vaccin n’est pas disponible, et ce malgré les lignes de défense successives mobilisées pour tenter de le contenir. Contrôler l’épidémie, à défaut de la maîtriser, nécessite de recourir à une gestion globale associant dans la durée mesures sanitaires et mesures territoriales.
En France, selon l’analyse faite par le Centre européen de contrôle et prévention des maladies infectieuses (ECDC), le risque de propagation de la COVID-19 est considéré le 22 février 2020 comme faible si les cas «confirmés» sont détectés précocement et que des mesures de contrôle adéquates sont mises en place immédiatement [g]. Dite « d’endiguement », la stratégie sanitaire initiale vise à freiner l’introduction du virus dans le territoire puis à empêcher sa propagation. Les premiers clusters ne parviennent cependant pas à être circonscrits. Une phase ascendante de l’épidémie s’amorce qui se poursuit jusque fin mars.
À la prise en charge individuelle a succédé l’action collective. Une nouvelle stratégie sanitaire vise en effet à l’atténuation des effets. Elle couvre l’hospitalisation des malades les plus gravement atteints, la prise en charge des autres malades et la protection des populations fragiles. Ces conditions favorables ne sont cependant pas satisfaites. L‘efficacité des mesures sanitaires est limitée par les capacités d’accueil du système hospitalier et l’absence de traitements efficaces de la nouvelle maladie infectieuse. Celle-ci se diffuse.
Pour garder le contrôle de l’épidémie, les mesures prises doivent alors impliquer la population dans son ensemble, sans se limiter au suivi des personnes infectées. Éviter la submersion des hôpitaux, par l’afflux de cas graves ne pouvant être pris en charge, nécessite en effet d’adosser l’action sanitaire sur une gestion territoriale du risque. Tandis que les gestes barrières sont instaurés, avec la règle de distanciation entre les personnes pour limiter les contacts interpersonnels, différentes mesures de police administrative sont adoptées comme l’interdiction des grands rassemblements. Lorsque le risque épidémique augmente, certaines activités propices aux regroupements, et par conséquent à la diffusion du virus, sont stoppées tandis que la population est incitée à rester chez elle.
Face à un aléa menaçant qui n’est pas maîtrisé, la mise à l’abri (sur place ou par éloignement géographique) est la mesure de protection conventionnelle d’une population potentiellement exposée. Dénommée confinement, la mise à l’abri in situ est la forme adaptée à un aléa sanitaire. La mesure protège en effet de l’infection et évite la propagation du virus en limitant les échanges sociaux et les déplacements de la population.
Une dynamique globale se met en place
Le confinement affecte la mobilité et restreint les activités économiques et sociales à la seule satisfaction des besoins élémentaires : santé, alimentation. Pour être un complément indispensable aux mesures médicales, la restriction des mouvements et des activités a un coût humain, économique et social très élevé, fonction de la sévérité et de la durée des mesures prises.
Deux éléments facilitent l’acceptabilité d'une mesure sans précédent : le confinement. Tout d’abord, l’outil numérique est mobilisé pour satisfaire des besoins essentiels : école à distance, télétravail, mise en relation des familles et les amis dans l’impossibilité de se retrouver autrement. Ensuite, les populations urbaines disposant de la possibilité de se confiner à la campagne ont la possibilité de le faire. Pour autant, le confinement et les mesures associées de restriction des activités induisent des privations affectives, culturelles, cultuelles qui altèrent en profondeur la vie de la population. Les catégories sociales les plus pauvres et les plus vulnérables sont particulièrement touchées.
La réponse apportée par le confinement du printemps donne des résultats sans parvenir à éliminer la dynamique infectieuse. La mesure d’isolement généralisé permet en effet la décroissance de la vague épidémique. Cependant, en fin d'été, alors que les activités reprennent, le virus regagne en virulence jusqu’à produire une deuxième vague épidémique. Un nouveau confinement s’avère alors nécessaire à l’automne. Plus souple et plus court, celui-ci est aussi moins efficace.
Possiblement porté par le rythme des saisons, le phénomène peut se poursuivre ensuite par une succession de vagues épidémiques et de restrictions aux libertés de mouvement et aux activités, prenant la forme d'une dynamique globale auto-régulée, sans vainqueur ni vaincu.
Alors que le bilan de la pandémie s’alourdit au fil du temps, le risque est aussi celui d’une mutation du virus, accentuant sa dangerosité ou sa contagiosité. L'espoir de mettre fin à la dynamique infectieuse réside pour l'essentiel dans la vaccination, débutée aux États-Unis le 14 décembre et en France le 27. Cette perspective encourageante intervient alors que l’annonce a été faite le 20 décembre par le 1er ministre anglais, Boris Johnson, d’une variante plus contagieuse de la COVID-19. Cette variante a été identifiée par la suite en France et dans d’autres pays européens.
4-La situation en ce début 2021
En 2020, la dynamique infectieuse de la COVID-19 a pris le dessus. Les différentes lignes de défense habituellement mobilisées pour contrôler une maladie infectieuse n'ont pas permis d'éviter la pandémie. Tout d'abord, le coronavirus n'a pu être contenu dans sa phase d'émergence. Ensuite, sa propagation n'a pu être évitée à l'échelle mondiale. En France, la réponse apportée n'a pu empêcher la diffusion de la maladie contagieuse au sein de la population. Les mesures prises n'ont, pas à ce jour, mis fin à l'épidémie.
En ce début 2021, l’horizon s’éclaircit avec la perspective des campagnes de vaccination aux effets positifs probables à la fin du 1er semestre. Une nouvelle ligne de défense est ainsi rendue possible : la réponse immunitaire. Les conditions de réussite de la vaccination sont cependant un nouveau défi à relever alors même que l’incertitude demeure sur les développements épidémiques des premiers mois de l’année dans le contexte devenu celui d’une mutation du virus.
Pour autant, comme on peut le penser en première analyse, la gestion de l’épidémie s’inscrira-t-elle dans une course de vitesse entre ces deux seuls processus : la montée en puissance de la vaccination, la mutation du virus, selon une variante plus infectieuse ? Ce n'est pas sûr, car d'autres avatars peuvent encore survenir tout au long des mois à venir avant que la dynamique infectieuse ne cesse véritablement.
S'il faut effectivement mettre l'accent sur la vaccination, la réponse ne peut être unique. Face à la complexité sous-jacente à la perturbation épidémique en cours, aux autres aléas qui peuvent survenir, la réponse globale reste pertinente. Elle invite à travailler les différentes composantes d'une gestion anticipatrice visant tout à la fois à réduire les vulnérabilités - humaines, organisationnelles et structurelles - à favoriser les résiliences - collectives et individuelles. La réponse globale appelle également à renforcer les dispositifs spécialisés concourant au bien commun comme autant d'outils précieux à (re)valoriser, le système de santé en particulier mais pas seulement.
Un "monitorage" associé à la crise de la COVID-19, distancié de son actualité événementielle, apparaît indispensable. Il s'agit de tirer profit des apprentissages pour orienter l'action de multiples façons et l'inscrire dans différentes temporalités. Cette prise de recul est nécessaire pour éclairer cette réponse globale et faire face du mieux possible aux développements inconnus restant encore à venir.
Remerciements à Christian Sanchidrian, AFPCN, pour sa relecture critique et son éclairage précieux pour appréhender une réalité complexe, celle de la crise de la COVID-19.
Notes de bas de page
[a] Le nom a été féminisé par l’Académie française bien que l’usage masculin se soit préalablement répandu.http://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19
[b] En France, le virus a produit une surmortalité trois fois supérieure à celle induite par la canicule de 2003.
[c] Bernard-Henri Lévy , Ce virus qui rend fou, Grasset, juin 2020
[d] Entretien sur France Culture le 30 mars 2020
[e] Jean-Noël Jeanneney, Virus ennemi, discours de crise, histoire de guerres, Gallimard, juin 2020
[f] L’Opinion, 5 avril 2020
[g] Guide méthodologique Préparation au risque épidémique COVID-19, Ministère des Solidarités et de la Santé, 22 février 2020
Les sources de la chronologie des événements du début 2020 sont OMS et Université John Hopkins.
Le monitorage des territoires : un cadre pour favoriser la résilience
Après le répit de l'été 2020, une reprise du COVID-19 est observée en France et en Europe. À la reprise de septembre, nul ne sait quelle sera l'intensité de cette nouvelle vague épidémique, quels seront ses effets sur la santé des populations et quelle sera la pression qui s'exercera sur le monde hospitalier. Un nouveau choc peut-il se produire ? Les incidences sur la vie économique, les incertitudes sont grandes. Les secteurs d'activité élaborent différents scenarii selon les contraintes qui peuvent peser, sans qu'il soit possible aux responsables de savoir à ce stade de quel scénario la réalité de l'automne 2020 se rapprochera le plus.
Activée aujourd’hui par un aléa sanitaire, la résilience s’impose aux acteurs des territoires pour anticiper ou faire face du mieux possible à des perturbations qui peuvent être de grande ampleur. Mais quel cadre peut-on donner pour favoriser celle-ci et la rendre mobilisable dans les situations critiques les plus diverses ? La démarche que nous proposons est celle de monitorage des territoires consistant tout à la fois à apprendre des changements globaux en cours, à veiller sur les perturbations possibles et surtout à dessiner un avenir désirable incitant à développer des projets de transformation.
Le territoire, terreau de la résilience
Les perturbations que les territoires sont susceptibles de connaître peuvent résulter aussi bien d'une épidémie ou d'une pandémie - comme c'est le cas aujourd'hui - que d’une catastrophe naturelle ou technologique, d’un épisode de pollution atmosphérique intense, d'une canicule intense, de la rupture d'un réseau structurant ou encore de restrictions sévères dans les usages de l’eau, les consommations d’énergie ou les approvisionnements. L'actualité livre chaque année son lot de situations critiques qui relèvent de l'une ou de l'autre de ces catégories.
La résilience ne se limite pas au temps de l'urgence. Dans l’accélération que nous vivons depuis quelques années, elle est convoquée pour se relever des chocs comme pour accompagner les transformations de nos modes de pensée, de nos façons de faire et de vivre, rendues nécessaires pour composer du mieux possible avec les changements qui s'imposent à nous.
Ainsi, passé le temps du confinement du printemps 2020, composer avec le coronavirus invite pour une longue durée à une gestion agile. Les entreprises et administrations changent leurs pratiques pour les concilier avec des règles ajustables aux évolutions de la situation sanitaire. Ces mesures organisationnelles préfigurent des transformations territoriales importantes comme celles induites par l’extension inattendue de la pratique du télétravail. Des adaptations structurelles affecteront vraisemblablement le marché de l’immobilier, l’aménagement urbain, les formes de mobilité. Ces transformations ont vocation à se combiner avec les nécessaires adaptations aux autres changements globaux en cours parmi lesquels figure le changement climatique.
Par « changements globaux », nous entendons ici les changements mesurables à l’échelle planétaire, dont les effets sont perceptibles aux échelles locales et dans notre vie quotidienne. Sont concernés, le climat, la biodiversité, la démographie planétaire et aussi l’urbanisation généralisée. Ferment de ces changements : l’activité anthropique qui perturbe de différentes façons les équilibres naturels et humains. Ainsi, l’hyper-connexion des espaces urbanisés se révèle être un facteur de propagation rapide des aléas sanitaires.
Face à des situations changeantes et inédites, le territoire est de plus en plus perçu comme la bonne échelle d'expression de la résilience. Celui-ci est au plus près de la réalité de terrain faite d’interrelations entre des entités de natures différentes. Le territoire a vocation à devenir le terreau de la résilience.
Vers un monitorage des territoires
La résilience n'est pas une notion facile à maîtriser ; chaque partie prenante la pratique au cas par cas et au gré des circonstances. Elle n’est pas une compétence exercée par une collectivité ou une autre. C'est pourquoi, comme espaces géographiques de relation entre une société et une étendue de l’espace terrestre, les territoires ont un rôle de premier plan à jouer pour la favoriser. C'est là où se projettent des représentations, des problèmes comme des projets (Di Méo).
Pour ce faire, nous préconisons des démarches dites de "monitorage des territoires" conduisant tout à la fois à partager avec toutes les parties prenantes concernées les apprentissages à effectuer sur les changements globaux, à contribuer à une veille territoriale sur les perturbations possibles et surtout à dessiner un avenir désirable pour les habitants et les entreprises.
Assurer les apprentissages des changements globaux en cours
Les défis auxquels les territoires sont confrontés sont marqués du sceau de la complexité. Alors que la connaissance scientifique des processus physiques à l’œuvre est déjà très documentée, un travail d’identification et d’appropriation des enjeux est à mener au sein même des territoires. La population sera-elle partie prenante de démarches de réflexion à conduire ? Les agents publics et privés seront-ils acteurs de cette réflexion ? Les expertises locales et les ressources externes seront-elles identifiées et valorisées ?
Assurer une veille territoriale sur les perturbations possibles
Sans que le fait soit nouveau en soi, la crise du COVID-19 montre qu’un petit aléa (un virus ici) peut occasionner des effets majeurs : mise sous tension du système de santé, arrêt des activités économiques, interruption de la vie associative. Aux différentes échelles de territoires, les dispositifs d’observation, de planification et de gestion sont multiples. Si leur performance individuelle peut toujours être améliorée, les avancées en matière de résilience viendront pour beaucoup de la capacité des acteurs concernés à s’identifier, à croiser leurs approches et à se relier préalablement aux situations perturbées.
Ouvrir des voies vers un avenir désirable
Anticiper les perturbations ne dispense pas - bien au contraire - de dessiner un devenir désirable des territoires. Un horizon engageant est à profiler dans les champs économiques, sociaux et environnementaux. Dans ces différents champs, de nombreuses initiatives sont déjà prises plaçant les transitions au cœur des projets. Ces savoir-faire, souvent dispersés, gagneraient à être mis en relation. Leur diversité est de nature à susciter une dynamique de projets de plus grande ampleur, porteuse de sens et fédératrice.
Quelques pistes concrètes
De façon concrète, constituer un terreau propice à la résilience, c’est susciter des mises en relation de citoyens, d’associations, d’institutions sur des projets simples répondant aux principes précédemment énoncés. Ces principes ne peuvent être dissociés : comprendre les enjeux, c’est poser la question des risques et aussi s’interroger sur les projets de transformation à mener ; et inversement. La dynamique obtenue en partant de l’un ou l’autre de ces aspects importe autant que le résultat recherché. Les liens tissés entre les parties prenantes priment sur le délai de réalisation ; la conscience partagée des enjeux l’emporte sur la performance d’une analyse. L’essentiel est dans la « mise en mouvement » des parties prenantes du territoire, accompagnée des expertises nécessaires.
A titre d’exemple, dans le contexte post-covid-19, permettre aux entreprises d’échanger sur la place du territoire dans leur capital immatériel, n’est-ce pas une façon de tisser du lien entre les acteurs et de renouveler le regard porté aux atouts et aux faiblesses du territoire ?
A l’échelle d’une intercommunalité ou d’un bassin de vie, une assemblée apprenante d’acteurs peut travailler sur les composantes essentielles du territoire, ses fragilités, ses ressources. Un prestataire d’étude peut accompagner la démarche et approfondir des questions soulevées lors de la réflexion collective.
Réunir à l’échelle d’une commune les techniciens des espaces verts, les associations en charge des milieux naturels, les utilisateurs de jardins partagés et encore de simples particuliers disposant d’un jardin, n’est-ce pas une façon de promouvoir le végétal en ville ? Partager de la sorte des pratiques, des savoir-faire, des questionnements peut poser les jalons de projets plus conséquents.
Les écoliers peuvent également étudier le cycle de la nature, sa préservation et les enjeux du recyclage. Partant de leur regard neuf, une rencontre élargie à des acteurs très divers peut enclencher une dynamique locale mobilisant des premières initiatives repérées.
Un autre chantier peut s’ouvrir sur l’apprentissage des savoir-faire : coudre un masque, réparer un outil, cuisiner des produits frais et locaux, bricoler, développer la créativité culturelle. Des ressources insoupçonnées sont susceptibles de se révéler pour ces arts pratiques auxquels les anciens peuvent prendre plaisir à contribuer.
La crise du COVID-19 a révélé les possibilités offertes par le numérique comme ouverture aux autres et au monde. Les sites internet des collectivités publiques pourraient être des relais de démarches de résilience, telles que celles décrites ci-dessus, en complément de leur fonction première d’informer sur les activités propres à la collectivité.
En partant de projets simples, une toile humaine active se tisse progressivement. Attentive aux changements globaux, elle relie des idées, des préoccupations, des initiatives, des données et des expertises. Elle suscite des projets. Les trois fils du tissage sont ceux de la compréhension des changements en cours, de la vigilance aux perturbations et aux chocs et du développement de projets de transformation des pratiques et des modes de faire. En s’inscrivant dans ce monitorage, l’habitant, l’entreprise, l’organisation deviennent des parties prenantes de la résilience de leur territoire.
Donner à la résilience un terreau, dans lequel elle puisse "s'enraciner", est un travail de longue haleine. Ceci nécessite de passer d'un territoire aujourd'hui constitué d'acteurs institutionnels, professionnels ou associatifs souvent faiblement reliés entre eux à un territoire où les acteurs prennent leur part du devenir collectif dans un monde plus risqué. Cette transformation, sinon culturelle du moins des pratiques, la crise du COVID-19 et les autres changements globaux en cours nous y invitent.
Article publié sur Linkedin le 2 septembre 2020
Adapté de l'article "Le territoire, terreau de la résilience, Rencontre avec Bernard Guézo, publié dans la revue "Le mag des territoires" n°1 juillet, août, septembre 2020.
COVID-19 : La résilience, composante active de la gestion des territoires
Dans la tempête sanitaire du COVID-19, la force du chêne et la souplesse du roseau étaient toutes deux nécessaires. La résilience a joué un rôle essentiel aux côtés de la gestion institutionnelle de la crise. Relever maintenant les défis du relèvement post-crise nécessite de considérer la façon dont les risques se sont transformés dans le contexte des changements globaux. Ils sont devenus un opérateur à part entière des villes et des territoires avec lequel les acteurs doivent maintenant composer. Anticiper les crises, comme celle du COVID-19, c’est assurer une veille collective sur les chocs et les perturbations de différentes natures (sécheresse, catastrophe naturelle, épisode de pollution, épidémie...) pouvant affecter le fonctionnement des territoires pour en limiter les effets. La résilience devient une composante active de la gestion des territoires.
Le COVID-19 consacre les apports de la résilience
Par la force des choses, les sociétés anciennes prenaient leur parti des calamités auxquelles elles étaient régulièrement exposées. Elles transformaient leur expérience de l’adversité en savoir-faire résilients. Par exemple, elles avaient appris à subsister en année de disette. En même temps, les anciens ne savaient pas affronter les aléas majeurs qu’ils concevaient comme des châtiments divins.
Tout en luttant contre les catastrophes, les sociétés modernes se sont appliquées à s’affranchir des contingences liées à leur environnement. En s’urbanisant, elles se sont protégées le plus possible des chocs, des irrégularités et des manques de tous ordres. Se démarquant des pratiques vernaculaires, elles sont souvent parvenues à vivre de la même façon en tous lieux, par tous les temps, en toute saison, de jour comme de nuit. Défendu par Vauban à l’origine, le principe mis en œuvre pour obtenir ce résultat est simple : sécuriser un territoire favorise la production de richesses, laquelle permet de financer de nouveaux dispositifs de protection. Sans cesse sophistiquée au fil du temps, cette boucle vertueuse semblait inaltérable.
En France, ces dernières décennies, les territoires ont cependant dû affronter des problèmes que les régulations fonctionnelles n’ont pu résoudre. Des fragilités territoriales se sont fait jour, portant sur l’accessibilité au logement, la fluidité de l’emploi, le maintien des services à la population, la mobilité ou encore les relations au milieu naturel. Opérant comme une calamité, la crise sanitaire du COVID-19 a éclairé sous un jour nouveau la carte des fragilités. Face à la complexité de la situation créée par la pandémie, le modèle de la protection a révélé ses limites. D’où l’engouement pour la résilience, comme nécessité vitale de réapprendre les aptitudes de nos ancêtres à composer avec l’adversité.
Si les fragilités fonctionnelles n’ont pas suffi à convaincre de l’importance de la résilience, l’intensification croissante des catastrophes ces dernières décennies aurait pu agir comme un autre signal des limites du modèle de la protection. Dans un contexte d’accélération des changements, les risques ont eux-mêmes changé d’échelle, posant toujours plus le défi de leur maîtrise. Certains événements ont marqué plus que d’autres. En 1985, la couche d’ozone protectrice des rayonnements ultra-violets est menacée. En 1986, le nuage radioactif de Tchernobyl se déplace au dessus de l'Europe. En 1995, la maladie dite de la vache folle propage ses effets sanitaires et aussi socio-économiques au sein des pays européens. En 2003, une canicule d’ampleur inhabituelle affecte l’Europe. Par la suite, les catastrophes naturelles et les épisodes de pollution atmosphérique se sont révélés plus sévères.
En 2020, le COVID-19 marque un tournant sociétal : la vie des territoires est bousculée durablement par une crise mondiale soudaine à ramifications multiples. En France, si la crise sanitaire a pu être jugulée, la complexité de sa gestion comme l’acuité de ses effets économiques et sociaux soulèvent de nombreuses questions déjà largement débattues et analysées. Sans être exhaustif, on peut citer : la façon de composer avec l’adversité mais aussi la robustesse des services essentiels (santé, alimentation, éducation), la capacité de résilience des organisations, les fragilités économiques et sociales, les modes d’urbanisation (formes urbaines, densité, mobilité, logement).
Dans la tempête sanitaire, les qualités du « chêne » étaient nécessaires. Il s’agissait d’organiser une réponse d’ensemble dans un contexte marqué par l’absence d’anticipation, l’incertitude et les injonctions contraires. Celles du roseau l’étaient tout autant. La crise a révélé l’importance des acteurs du quotidien et l’utilité des réseaux numériques. Les initiatives solidaires se sont multipliées en particulier dans le secteur de la santé où des vies étaient en jeu. Des capacités d’innovation se sont libérées comme par exemple l’aménagement temporaire des espaces urbains. La résilience a eu ses "héros ordinaires".
Lyon, mars 2020. Vidéo d'hommage aux soignants et à tous ceux qui ont œuvré pendant le confinement.
Le relèvement au prisme des changements globaux
Si l’urgence sanitaire est pour beaucoup révolue, la résilience reste requise. Les dommages occasionnés par le COVID-19 appellent des démarches de reconstruction intégrant des impératifs de réduction de la vulnérabilité suivant le principe dit du « Build Back Better » [a]. Or, le risque est grand que les défis à relever - sanitaires, économiques et sociaux - soient dissociés alors qu’ils sont intimement liés et inscrits de la même façon dans les changements globaux en cours. Pour comprendre la particularité de ces changements et la place qu’ils tiennent dans le devenir des territoires, il est utile d’établir un récit de la dynamique d’urbanisation sous l’angle spécifique de la production de catastrophes comme révélatrice du nouvel environnement avec lequel il faut composer.
Considérons d’abord la période 1950-1980. Confrontée aux besoins de logement, la France s’urbanise. Des grands ensembles d’immeubles collectifs sont déployés en périphérie des agglomérations. Les industries sont déconcentrées de la région parisienne vers la province. Les extérieurs des bourgs et des villages se bâtissent. Des constructions colonisent les espaces naturels et agricoles. Cette dynamique collective d’une production urbaine « hors la ville », selon l’expression de l’urbaniste David Mangin, secrète bien évidemment des risques collectifs. L’insécurité routière endeuille les villages et les villes. Les grands ensembles posent rapidement la question de leur démesure. Les grandes infrastructures et l’industrie civile génèrent de premières tragédies : rupture du barrage de Malpasset en 1959, incendie de la raffinerie de Feyzin en 1966. En 1970, les deux avalanches meurtrières de Val d’Isère et du Plateau d’Assy, dans les Alpes, conduisent à corréler urbanisation des territoires et catastrophes naturelles. Limitant les catastrophes et leurs effets, les réponses apportées en matière de prévention laissent croire à une possible maîtrise alors que les politiques de prévention des désastres connaîtront de nombreuses limites (Pigeon et Rebotier, 2017).
Or, la période 1980-2010 devient celle de la globalisation économique. De nationale, la dynamique d’urbanisation devient internationale. Les métropoles régionales dotées d’une infrastructure aéroportuaire s’affirment comme lieux d’articulation des échelles globale et locales. Ainsi, Toulouse devient au début des années 2000 un centre mondial de la construction aéronautique. Issus de la décentralisation politique, les territoires se différencient entre ceux qui émargent à la compétitivité économique, dans l’influence des grandes agglomérations, et d’autres qui cumulent les difficultés. Pour traduire ce changement d’échelle dans l’urbanisation et traduire son inscription dans les territoires, l’urbaniste François Ascher invente en 1995 le concept de métapole. Hétérogène, l’espace métapolitain agrège des secteurs d’habitat, des zones d’activité, des infrastructures de transport, des milieux physiques, des espaces agricoles. L’époque devient celle des délocalisations industrielles et de la massification des productions et des échanges.
En France, du Grand-Bornand (1987) à La Faute-sur-Mer (2010), les catastrophes éprouvent les extensions urbaines des décennies précédentes. Elles affectent en 1999 les réseaux de transport (accident du tunnel du Mont-Blanc) et les réseaux d’énergie (tempêtes Martin et Lothar). A l’étranger, des catastrophes au retentissement mondial sont corrélées à la globalisation de l’économie. A 30 ans d’intervalle, l’accident industriel de Bhopal (1984) et l’ouragan Katrina (2005) révèlent de la même façon la vulnérabilité des populations pauvres aux carences de sécurité de certaines installations industrielles et d’équipements d’infrastructure.
Alors que l’économie globale est affectée par la crise financière de 2008, une autre dynamique s’impose, celle des changements globaux. Par « changements globaux », nous entendons ici les changements mesurables à l’échelle planétaire, dont les effets sont perceptibles aux échelles locales et dans notre vie quotidienne. Sont concernés, le climat, la biodiversité, la démographie planétaire, et aussi l’urbanisation généralisée. Activatrices de ces changements : les activités anthropiques dont les résultantes perturbent maintenant de différentes façons les équilibres naturels et humains.
L’urbanisation devient un phénomène global [b]. Pour le géographe Michel Lussault, l’exposition universelle de Shanghai de 2010 constitue « le premier événement populaire global marquant l’avènement du nouveau Monde urbain ». Les territoires donnent naissance à des hyper-lieux remarquables par leur criticité, c’est-à-dire leur propension à amplifier des perturbations ; et à de l’hyper-ruralité, c’est-à-dire à des espaces voués à l’abandon démographique. Lorsqu’ils sont urbanisés, les littoraux sont des espaces particulièrement sensibles aux effets du changement climatique. Selon l’Argus de l’assurance, le tsunami au Japon en 2011, les ouragans Sandy en 2012 et Irma en 2017 sont les catastrophes les plus coûteuses des dix dernières années.
Pour l’Organisation Météorologique Mondiale, l’été 2018 est l’un des plus chauds et secs en Europe du Nord. Des catastrophes climatiques majeures ont marqué 2019 tandis que 2020 a débuté par les incendies catastrophiques en Australie. La France figure parmi les pays européens les plus touchés par les événements climatiques sur les vingt dernières années. Elle souffre autant que Madagascar, l'Inde, le Bangladesh ou encore la Thaïlande (Germanwatch, 2020).
Les catastrophes se succédant, l’inquiétude gagne les opinions publiques. Lors du Forum international de Davos en janvier 2020, les dirigeants économiques du monde identifient les désordres climatiques comme étant les principaux risques à venir. A cette occasion, le Prince Charles, dont l’engagement en faveur de la nature et de l’environnement est sans faille, a délivré un message d'urgence : « urgence des changements systémiques, de la coopération et de l'intégration ». Une prise de conscience est ainsi appelée à gagner progressivement le monde économique : les catastrophes ne sont plus un épiphénomène de l’économie mondiale mais des événements incontournables avec lesquels il va falloir compter.
C’est dans ce contexte sensible qu’il faut inscrire le relèvement de la crise du COVID-19.
Faire de la vigilance aux chocs et aux perturbations une composante active de la gestion des territoires
Les changements globaux nous renvoient à ce qu’écrivait l’urbaniste Paul Virilio dès 2005 : « Si selon Aristote, l’accident révèle la substance, l’invention de la substance est aussi celle de l’accident ». L’invention de notre époque est celle des changements globaux et de leurs effets accidentels, insuffisamment considérés.
La dynamique de développement de l’humanité génère un nouveau paysage dont certains attributs sont néfastes : interdépendances accrues, interactions non maîtrisées, zones de fragilités, altération des ressources communes. Les crises fructifient dans ces déficiences, grandissantes au fil du temps. Aux différentes échelles géographiques, il faut réinvestir ces externalités délaissées pour les traiter et aussi pour réinterroger les faits générateurs.
Dans un contexte marqué par la variabilité de notre environnement, les savoir-faire-résilients ont vocation à devenir une composante active de la gestion des territoires. Les apports de la résilience complètent ceux apportés par la gestion conventionnelle des risques. Une perspective importante s’ouvre pour les prochaines années : définir et mettre en place dans les territoires des modalités d’une veille collective sur les perturbations de différentes natures qui peuvent se propager, de mobilisation des ressources et de structuration de réponses collectives à apporter, adossées aux dispositifs spécialisés de gestion des risques.
Faire face à un virus, à une sécheresse, à un épisode de pollution en adaptant la réponse à des conditions fluctuantes est une façon de renouer avec les savoir-faire ancestraux confrontés aux rythmes des saisons et aux caprices du temps. C’est sans doute adopter maintenant une culture du risque qui faisait défaut dans les années où le modèle de la protection était supposé assurer à lui seul la sécurité de fonctionnement des territoires. Sans renoncer à la protection, les nouvelles conditions des changements globaux font de l’observation, de la veille et de la surveillance une composante majeure de la gestion des territoires.
[a] L’approche « build back-better » est issue de la déclaration de Sendai (Japon) de 2015. Elle est référencée sous la rubrique 4-b qui mentionne que la gestion post-catastrophe est une fonction complexe et forte d’enjeux. Le relèvement implique un grand nombre de parties prenantes. Il conditionne le devenir social et économique d'un territoire. Le défi du relèvement est à préparer avec le souci d’éviter les errements antérieurs qui ont favorisé la survenue des dommages.
[b] Depuis 2007, la population urbaine mondiale est devenue plus nombreuse que la population rurale. D’ici, 2050, les projections montrent que l’Asie abritera 60 % de la population urbaine mondiale (Lussault, 2013).
Remerciements à Richard Cantin, Patrick Chotteau et Léona Trouvé pour leur précieuse relecture.
Éléments de bibliographie
Germanwatch, Global Climate Risk Index 2020 Who Suffers Most from Extreme Weather Events? Weather-Related Loss Events in 2018 and 1999 to 2018
Guézo Bernard, blog https://monitorage.fr/
La Fontaine, J. Fables, le chêne et le roseau
Lussault, M., Hyper-lieux, Les nouvelles géographies de la mondialisation, Seuil , 2017
Pigeon P., Rebotier J., 2017. Les politiques de prévention des désastres, penser et agir dans l’imperfection, Londres, ISTE Editions Ltd, 2017.
Virilio, P ., l’accident originel, Paris, Galilée, 2005
World Economic Forum, The Global Risks, Report 2020
Article publié le 22 juin 2020 sur Linkedin
Le COVID-19, risque global : la réponse distanciée
« Préparer l’avenir ce n’est que fonder le présent. […] L’avenir, tu n’as point à le prévoir mais à le permettre. » Antoine de Saint-Exupéry.
(cité dans le rapport ‘’Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives » [a])
Avec la crise du coronavirus, le monde est engagé dans une course de vitesse pour éviter un désastre humain à grande échelle. En France comme dans les autres pays, nous sommes entrés collectivement et individuellement dans ce que le Grand Prix de l’urbanisme François Ascher, évoquant le combat contre la maladie, appelait une "ingénierie du temps compté".
Une ingénierie qui se déploie en deux temps :
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« Le temps de la réponse immédiate », visant à s’organiser en « catastrophe » pour stopper les méfaits du virus. L’urgence est de limiter le tribu à payer en vies humaines tout en assurant la continuité des activités essentielles à la vie du Pays. Ce premier temps mobilise, pour de nombreuses semaines encore, le dévouement et l’abnégation des soignants, les contributions de nombreux acteurs et les efforts consentis par la population dans son ensemble.
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« Le temps de la réponse distanciée», visant à retrouver, après l’épreuve et ses stigmates prévisibles, des perspectives engageantes. C’est sur ce second temps que nous porterons notre attention ici sous l’angle de la capacité des communautés humaines, des organisations et des institutions à affronter l’éclosion des risques d’échelle planétaire dont la pandémie du COVID-19 est une manifestation paroxystique.
La complexité de la crise générée par le COVID-19 entrave la réflexion à mener pour promouvoir, à sa suite, des projets résilient intégrant les enjeux écologique et solidaire. La tentation est grande de différer cette réflexion. Or, le choc infectieux induit un risque insidieux : celui de générer une fragmentation des politiques et des projets. Cette perspective serait en contradiction avec les efforts engagés ces dernières années pour considérer les défis planétaires dans leur ensemble. Pour éviter cet écueil, il parait essentiel de préparer sans attendre les termes de référence devant accompagner les ré-examens stratégiques que la crise du COVID-19 rendra nécessaire dans tous les domaines.
Le COVID-19 ou le besoin d’une réponse d’ensemble aux défis d’ordre planétaire
Resituons la crise sanitaire majeure en cours dans une approche d’ensemble.
Alors que l’année 2019 a été grandement marquée dans le monde par des catastrophes climatiques, 2020 a débuté sous le signe d’une épidémie majeure devenue pandémie mondiale, la première depuis un siècle. Cet enchaînement inattendu interroge. Traduit-il « une loi des séries » ou la diversité des risques liés aux transformations observées d’échelle planétaire ? Plutôt que d’invoquer le fruit du hasard, il convient d'admettre qu'à un rythme de plus en plus soutenu, interviennent des catastrophes à géométrie variable, devenues la contrepartie universelle de l’impact planétaire des activités humaines.
Il ne faudrait pas segmenter changement climatique, effondrement de la biodiversité, pandémie. Ces différents périls non-intentionnels interagissent et perturbent de la même façon à grande échelle les milieux de vie, les activités économiques et les relations sociales. Même si les liens entre ces différents défis ne sont pas apparents, ils existent et ont déjà été signalés.
Nous expérimentons aujourd’hui les conséquences sanitaires des atteintes massives à la biodiversité. Ces conséquences sont identifiées de longue date. Le rapport de la commission spécialisée « Maladies transmissibles » mentionnait ainsi en 2011 [a] : « Plus de 63 % des pathologies infectieuses humaines actuelles étant d’origine animale, les pressions anthropiques exercées actuellement sur les espèces de réservoirs / ou de vecteurs et leurs biotopes auront pour conséquence l’apparition de nouvelles formes d’agents émergents ».
Dans leur récent rapport de septembre 2019 [b], les experts de l’OMS identifiaient un risque aigu de pandémie globale dans un monde devenu interconnecté. Relevant une impréparation du monde à cette éventualité, ces experts mentionnaient les graves répercussions qu’une telle pandémie pourrait avoir sur la sécurité nationale des États, l'économie mondiale et le commerce. Ce risque sanitaire majeur a été occulté par un monde polarisé sur la performance des échanges économiques, et par ailleurs fortement interpellé par les alertes lancées sur les effets du changement climatique.
Au vu des inondations, canicules et incendies de forêts de grande ampleur des dernières années, nous éprouvions déjà les menaces portées à l’habitabilité de la planète. La crise du COVID-19 reflète aussi ce monde global auquel les communautés humaines sont désormais intégrées. C’est bien à répondre aux défis dans leur ensemble : climat, vivant, santé des populations, qu’il faut travailler sans attendre maintenant. La crise du COVID-19 est-elle cependant de nature à précipiter des transformations sociétales devenues indispensables ?
Le désastre du COVID-19 : un enjeu de renouveau
Ces dernières décennies, des possibilités nouvelles de se déplacer et d’échanger ont été cultivées sans compter. Notre époque est devenue celle de la mobilité généralisée et de l’intensification croissante des rythmes de vie. La crise du coronavirus porte un coup d’arrêt brutal à ce modèle. Tandis que les soignants se démènent dans des conditions périlleuses pour sauver des vies, le traitement thérapeutique imposé au plus grand nombre n’est pas médical, il est de se confiner à la maison suivant la prescription « Restez chez vous ». Les sorties dérogatoires font alors redécouvrir à chacun les bienfaits des commodités de proximité.
Sans qu'il s'agisse de se replier sur soi, le futur ne devrait plus être à l’ouverture inconditionnelle au monde.
Dans certains territoires au fonctionnement mondialisé, les processus bio-physiques et les activités anthropiques interfèrent intensément jusqu’à menacer, par diffusion rapide d’un élément infectieux sur les différents continents, la sécurité des populations et la vie des plus fragiles. Parmi les territoires critiques où le COVID-19 a le plus diffusé, citons la Province de Wuhan (Chine) et la Lombardie (Italie). Ce sont des districts industriels fortement internationalisés. Wuhan compte une dizaine de sites de production automobile et 500 équipementiers. Au sein de la Lombardie, Milan est un centre européen de la finance, un centre mondial du luxe et de la mode, un leader du tourisme d’affaires. Ces caractéristiques territoriales, à forte charge symbolique d’un monde globalisé, ont joué un rôle majeur dans la propagation rapide de l’infection.
Le paradoxe est celui d’une inertie des institutions et organisations face aux catastrophes de différentes natures observées ou annoncées. Les études scientifiques menées attestent toutes que nous sommes dans une « ingénierie du temps compté » pour outiller un nouveau modèle de développement planétaire. Les retards accumulés font peser le risque qu’il ne soit trop tard pour agir efficacement.
Par sa gravité extrême, la crise sanitaire du COVID-19 devrait mettre fin à cette anomalie. Si l’on considère la définition donnée de la « catastrophe » par l’OMS en 2002 : ''[...] un choc sévère, une rupture brutale, écologique, psychosociale, qui dépasse les capacités de faire face de la communauté'', le coronavirus produit en effet bien davantage qu’une catastrophe, il revêt l’ampleur d’un désastre, sanitaire, économique et financier.
Dans la situation d’urgence, le fait que le COVID-19 ait impacté rapidement l’échelle planétaire annihile toute possibilité de secours entre les États autre que réciproque. Cette situation est inédite. Nous ne sommes plus dans la configuration du tsunami d’Asie de décembre 2004. Bien qu’ayant produit plus de 200 000 victimes, la catastrophe naturelle était géographiquement localisée en Asie du Sud-Est et la communauté internationale était venue massivement en aide aux régions dévastées.
La crise du COVID-19 traduit la vulnérabilité extrême des États à un choc d’extension mondiale. La question se pose aussi en matière de résilience. Là où la coopération précoce entre les États aurait permis d’affronter au mieux l’urgence sanitaire, une faible solidarité s’est exprimée. Elle s’observe avec retard entre pays européens. En Espagne, la solidarité laisse à désirer entre les Régions. Le soutien apporté par la Chine, berceau de la pandémie, à l’Europe, en reconnaissance des aides obtenues à l’éclosion de la crise est controversé. Les États-unis sont quant à eux cantonnés dans une stratégie assumée de repli sur soi.
De façon générale, la catastrophe remet rarement en question les fragilités qui la suscitent. Les adaptations se font à la marge. A l’inverse, parce qu’il atteint les fondements même d’un modèle de société, le désastre impose bien davantage de remédier aux errements antérieurs.
Comme désastre, l’épreuve du COVID-19 invite logiquement à reconsidérer les échanges commerciaux irréfléchis, l’urbanisation et la mobilité généralisées. A titre d’exemple, la relégation en mer des navires de croisière géants, devenus lieu d’enfermement de milliers de passagers exposés au COVID-19, ne devrait-elle pas signer la fin de l’industrie du tourisme de masse dont les effets dommageables sur l’environnement étaient déjà régulièrement dénoncés ? Il faudra bien remédier aux vulnérabilités béantes que nous avons collectivement créées !
Mais le péril est grand que le désastre instaure « l’enclosure », c’est-à-dire la fermeture sur soi, en mode d’action de longue durée. Ce scénario laisserait alors prospérer les problématiques collectives. Pour se prémunir de ce risque, il faut réfléchir aux principes qui devraient guider l’action pour fixer un nouveau cap soucieux des défis planétaires à relever et partageable aux différentes échelles.
Dessiner les termes de référence du renouveau nécessaire à tous les niveaux
Nous sommes dans le temps de la réponse immédiate au choc infectieux et à ses effets dommageables. Effets sur la vie et la santé des populations, sur les activités économiques et sur la vie sociale. Les responsables s’évertuent à les prendre en charge en adaptant les règles, en mobilisant les financements, les initiatives et la créativité de chacun. L’urgence progressivement gérée, ce temps devient toujours plus celui de la résilience des communautés humaines et des organisations, aux différentes échelles locales, nationale et internationale.
La résilience traduit la capacité à se transformer face à l’adversité, en préservant son identité et en ravivant les valeurs supérieures auxquelles on croit. C’est ce champ qu’il faut investir collectivement et individuellement, en parallèle de la résorption des urgences sanitaires, sociales et économiques.
Les entreprises de textile qui reconvertissent leur production vers la fabrication de masques, en mobilisant des ressources humaines dans les territoires, sont un bel exemple de cette résilience. Elles valorisent leur savoir-faire en réorientant leur activité au service du bien commun. De nombreux autres exemples de résilience éclairent l’actualité.
« Préparer l’avenir ce n’est que fonder le présent » écrit Saint-Exupéry. Il faut aussi travailler dès maintenant à la réponse distanciée. Il s’agit de mettre en place à tous les niveaux un monitorage [f], c’est-à-dire ici une démarche distanciée d'apprentissage des bouleversements en cours, de vigilance vis-à-vis de prochaines perturbations et d’anticipation des réexamens à venir. Il s'agira de revisiter les politiques et les pratiques, dans le sens de prévenir les aléas globaux de toute nature. Ce monitorage peut consister en :
1- Établir et partager collectivement un état des lieux sur les multiples enseignements des mois en cours. En les valorisant, les territoires seront mieux armés pour traiter la complexité des problématiques à venir.
La crise sanitaire du COVID-19 illustre la multiplicité des aléas d’échelle planétaire, rend palpable les vulnérabilités majeures des communautés et des organisations. Elle inaugure de nouvelles pratiques, éprouve ce qui fonctionne, renseigne sur les capacités de récupération, rappelle la place centrale à donner à l'humain dans les projets et les décisions.
Engranger les faits et les informations en temps quasi-réel, les interroger dans le temps masqué de la crise serait une façon d'incrémenter un retour d’expérience qui s'annonce d'ampleur exceptionnelle par ses enseignements. Les connaissances acquises seront incorporables aux travaux futurs suivant un processus de « lessons learned about lessons learned »[d].
2- Activer la vigilance aux périls de différents ordres qui peuvent survenir durant les prochains mois, répliques ou non du désastre en cours. Il s’agit tout particulièrement des catastrophes naturelles qui peuvent affecter gravement des territoires grandement fragilisés par la crise sanitaire. L’Association Française de Prévention des Catastrophes naturelles (AFPCN) s’est restructurée récemment en quatre grandes missions [c] pour aider à mieux affronter des événements plus fréquents ou plus intenses. Il faut reconsidérer les périls à venir dans une approche plus ensemblière encore que celle qui était déjà prônée.
3- Se doter d'un cadre de référence actualisé et élargi des transformations structurelles à opérer pour intégrer les changements globaux en cours dans les différents champs d'activité.
A l’échelle internationale, un cadre est en place sur la prévention des catastrophes (Sendai, 2015), un autre sur le climat, si l’on considère l’accord de Paris. Une conférence sur la biodiversité est programmée à Kunming en Chine du 18 octobre au 1er novembre 2020. A des échelles plus territoriales, des travaux nombreux sont menés et des initiatives multiples sont prises sur ces sujets. Ceux-ci mériteraient d’être considérés avec un œil neuf et de façon plus transversale.
Citons en particulier, dans le champ méthodologique, les travaux collectifs menés ces dernières années par le Cerema, avec l’appui du ministère en charge de l’Écologie, sur la sécurité globale des territoires [e1, e2].
Il s’agit de dessiner le cap qui permettrait de reconsidérer les stratégies de développement, les normes collectives et les modes de vie dans le sens de réduire les fragilités systémiques et d’augmenter la résilience aux aléas de toute nature. Ceci passe bien évidemment par la réduction de l’empreinte écologique en requalifiant les questions sanitaires sous-jacentes.
***
Un nouveau cap sociétal peut seul prévenir les catastrophes de grande ampleur, celle du COVID-19 aujourd’hui. C’est ce nouvel horizon collectif qu’il faut dessiner, en anticipation d'une sortie de crise qui s'étendra dans la durée. «Le temps de la réponse immédiate » et celui de « la réponse distanciée » vont se chevaucher grandement. La construction attentive de cette réponse, dans ses différentes facettes, est de nature à orienter le renouveau nécessaire du local au planétaire pour prévenir les risques globaux parmi lesquels figure, ne l'oublions pas, celui du changement climatique.
Remerciements à Benoît Beroud (agence Mobiped, conseil en mobilité durable), Sandra Decelle-Lamothe (agence Edel, spécialisée dans les domaines de la prévention des risques majeurs, de l’environnement et du développement local) et Blandine Guézo pour leur éclairage précieux sur l’article en phase projet.
[a] Leport Catherine et Guégan Jean-François (sous la direction de). La documentation française 2011. Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives. Rapport.
[b] « A world at risk », Annual report on global preparedness for health emergencies, Global Preparedness Monitoring Board, September 2019
[c] Les quatre grandes missions de l’AFPCN : Réseaux de partenariats, animation scientifique et technique, animation territoriale et intersectorielle, activités internationales et européennes
[d] Juergen Weichselgartner, John Norton, Guillaume Chantry, Emilie Brévière, Patrick Pigeon et Bernard Guézo, « Culture, connaissance et réduction des risques de catastrophe : liens critiques pour une transformation sociétale durable », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 16 numéro 3 | décembre 2016, mis en ligne le 20 décembre 2016, consulté le 03 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/18130 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.18130
[e1] Cerema, Actes du séminaire « Sécurité globale et résilience des territoires : ingénierie, effets de levier et stratégies à promouvoir » réunissant, en janvier 2019 à Lyon, 50 experts ou scientifiques de la ville et des territoires. En téléchargement gratuit.
[e2] Cerema, Actes du séminaire « Résilience urbaine et sécurité des territoires : crises redoutées, résiliences escomptées et étapes à franchir », réunissant, en octobre 2017 à Lyon, 40 experts ou scientifiques de la ville et des territoires. En téléchargement gratuit.
[f] Guézo, B., 2012, Le territoire-étagé, un outil d'ingénierie pour agir sur la vulnérabilité des espaces métapolitains, thèse univ. Grenoble, Le Bourget-du-Lac, 357 p.
Territoires et changements globaux : le renouveau du projet
Malgré les efforts déployés pour dresser des perspectives porteuses de sens, notamment dans la planification de l'urbanisme, les territoires ont souvent connu ces dernières décennies un essoufflement de la dynamique de projet comme mode opératoire ouvrant sur l'action. Comment expliquer cette difficulté, voire même cette désaffection ? Est-elle inéluctable ?
Dans le contexte des années 80, le "projet" matérialisait un avenir pleinement désirable ; il était associé à l'idée de progrès généralisé. Le projet était généralement perçu comme marque et moteur de réussite, ses insuffisances étant facilement couvertes par un nouveau projet. Par la suite et pour un certain nombre de territoires, le contexte est devenu celui du ralentissement de la croissance, du poids des contraintes normatives et du doute qui s'est insinué sur leur devenir. L'horizon des territoires s'est fondu dans le brouillard des incertitudes. Le projet a perdu ses fondements. Il s'est individualisé et banalisé au point de perdre de sa capacité à orienter globalement les choses.
Depuis 2005, la figure de l'anthropocène s'impose, traduisant des dégradations planétaires actives et les risques majeurs encourus par l'humanité. Le brouillard ne s'est pas dissipé tandis que l'horizon dépeint est sombre. Dans ce nouveau contexte, le projet a-t-il définitivement perdu tout crédit comme outil en mesure d'agir sur l'avenir ? Ou au contraire, les défis de sauvegarde de la planète étant clairement posés, le projet peut-il être redéfini, de façon plus globale et moins technicienne que par le passé, pour mobiliser et éclairer la ligne d'horizon d'une nouvelle idée du progrès ?
Nous faisons l'hypothèse que les changements globaux, parce qu'ils sont porteurs de risques, sont aussi de puissants facteurs de renouveau du projet, comme notion mobilisatrice des énergies. En reformulant le projet, de nombreux acteurs ont la capacité de devenir les forces vives d'une adaptation des territoires aux enjeux du 21ème siècle.
Au travers d'un bilan de l'année 2019 marquée par l'actualité du changement climatique, cet essai vise à décrypter les conditions devenant favorables à une renaissance du projet et à réfléchir à la meilleure façon possible de le déployer aux différentes échelles. Voulant marquer les ruptures à opérer dans les modes de pensée pour répondre aux défis globaux du 21è siècle, il conclut sur la modération comme principe pouvant inspirer une nouvelle génération de projets.
1- 2019, année du changement climatique
L'année 2019 a été marquée par l'actualité du changement climatique considéré comme producteur de risques voire de catastrophes. Dans les faits, la situation est plus complexe. Les risques sont générés par les changements globaux (CG) dans leurs interactions (et non par le seul changement climatique) et les catastrophes sont multi-factorielles.
Ainsi, la modification du climat, les pressions exercées sur la biodiversité et les ressources naturelles, la globalisation des échanges, l’urbanisation généralisée sont ensemble des activateurs de risques naturels, sanitaires et aussi anthropiques qui diffèrent sensiblement des risques que nous connaissions préalablement.
En particulier, l'urbanisation non maîtrisée et les effets du changement climatique se combinent pour intensifier les catastrophes. Pour réduire la vulnérabilité des territoires, il convient tout à la fois de lutter contre le changement climatique et de repenser l'urbanisation en zones de risques, les deux sujets étant liés.
Quelle que soit leur genèse, les catastrophes mettent à rude épreuve les services de secours et les populations affectées. L’été 2019 a été marqué dans le monde par l’ouragan Dorian, dévastant les Bahamas, et par les incendies volontaires en Amazonie et en Indonésie. En France, deux épisodes de canicule et une sécheresse profonde ont affecté la plus grande partie du territoire métropolitain. Ces conditions ont provoqué le décès d’un pilote de canadair engagé dans la lutte contre les incendies de forêt et des préjudices économiques majeurs pour les agriculteurs et les éleveurs.
Les derniers mois de l'année ont encore vu le Japon affecté par le typhon Hagibis considéré comme le pire depuis 1958 (a). En Italie, Venise, cité patrimoniale, a connu des inondations proches de celle de référence le 4 novembre 1966. En France, des inondations meurtrières ont frappé le Var et les Alpes-Maritimes suivant un double épisode survenu les 23 et 24 novembre puis les 30 novembre et 1er décembre. A la dizaine de victimes civiles s'ajoute la mort de trois secouristes ayant péri dans un accident d'hélicoptère.
Deux rapports spéciaux du GIEC, en août et en septembre, ont rappelé la gravité des effets à venir du changement climatique sur la vie des populations et l'habitabilité de la planète (b). Le premier traite de la désertification, de la dégradation des sols et de la sécurité alimentaire. Quant au second, il souligne l'urgence d'agir de façon coordonnée et durable afin d'endiguer les modifications de l'océan et de la cryosphère.
En octobre, l’alliance scientifique française AllEnvi a publié une étude sur l’élévation du niveau de la mer en 2100 (c). Parmi les huit scénarios produits, cinq mènent à des situations « extrêmes » ou « graves ». Qualifiés de « modéré » ou de « sérieux », les deux scénarios les plus favorables sont subordonnés à la mise en œuvre de politiques vertueuses, d’échelle planétaire, rompant avec les tendances lourdes actuelles. Les probabilités d'occurrence de ces deux scénarios sont de ce fait considérées comme faibles.
Le 7 décembre encore, une étude de l'UICN alerte sur la désoxygénation des océans (d). Pour inverser cette tendance, les humains doivent atténuer les changements climatiques et limiter les rejets de nutriments dans les masses d'eau.
Les études scientifiques montrent que les aléas futurs ne seront pas la simple réplique des aléas préexistants. Ils seront plus intenses ou plus fréquents ; ils pourront se manifester en des lieux inhabituels. Outre le fait qu’ils marqueront des records (se prêtant moins au calcul à partir des références anciennes) ils auront encore la particularité de se démarquer des aléas antérieurs par leur diversité plus grande, leur mutabilité, des possibles effets de convergence et finalement leur forme inédite.
Les CG se traduisent aussi par les fragilisations des océans, des littoraux (érosion des côtes) de montagnes (fonte du pergélisol), des forêts (températures), des aquifères (sècheresse). Pour être moins visibles que les événements extrêmes auxquels elles contribuent, ces altérations sont aussi problématiques, tant pour les populations concernées que pour la préservation du patrimoine naturel.
2- 2019, ou la force motrice de l'urgence
En France et en Europe, les changements globaux ont mobilisé en recourant non à la notion de projet mais à celle "d’urgence". Les déclarations d'urgence se sont ainsi égrenées tout au long de l'année 2019, au plus haut niveau. Il parait important de rappeler les plus significatives.
En France, en avril, la Présidence de la République crée un conseil de défense climatique visant à "prendre des décisions stratégiques en matière de transition écologique et à placer l'urgence climatique au cœur de toutes les politiques publiques". Les autorités publiques mobilisent ainsi cette notion en l’associant à celle de sécurité nationale pour marquer le défi posé aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Déposé le 16 mai, le rapport sénatorial consacré au changement climatique est intitulé « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée ». Ce rapport souligne que le proche avenir climatique est déjà écrit et qu'il faut se préparer à en absorber le choc. Le 9 juillet, la ville de Paris déclare à son tour l'état l'urgence climatique, décidant la création d'une académie du climat. Le 8 novembre, la loi "Énergie et climat" est promulguée. Fixant des objectifs à l’horizon 2050, elle décrète aussi l’urgence écologique et climatique.
En Europe, le 1er mai, le parlement britannique déclare l'état d'urgence climatique. Le 8 octobre à Copenhague, ce sont les 94 villes du réseau C40 qui déclarent l'urgence climatique. Le 28 novembre, le Parlement européen proclame l'urgence climatique et environnementale. Ce faisant, il marque l'engagement des États-Membres à limiter le réchauffement de la planète à 1,5º C et à éviter une perte massive de biodiversité.
A l'échelle internationale, le 23 septembre à New-York, au sommet sur l'action climatique le Secrétaire général de l'ONU déclare : " L'urgence climatique est une course que nous sommes en train de perdre, mais nous pouvons la gagner ".
Pour Nicole Aubert (2004), l'urgence ouvre sur la crise comme étant " la phase ultime de l’urgence où se combinent de façon dramatique : l’importance des enjeux, l’incompréhension des événements, la contraction brutale du temps de réaction et la nécessité d’une action immédiate " (e).
Déclarer l'urgence climatique revient à émettre un signal fort destiné à prévenir la crise, c'est-à-dire le moment où l'action humaine ne pourra plus limiter suffisamment les CG et leurs effets. Il s'agit tout à la fois de désigner la gravité des bouleversements en cours, de marquer l’attention extrême qu’il faut y porter et d'affirmer la nécessité d’agir sans délai pour limiter les risques encourus à court, moyen et long termes.
Les crises à venir doivent par conséquent être anticipées et dépassées. Pour les territoires, ces crises recouvrent des configurations très différentes. Réunis en séminaire Cerema à Lyon, en octobre 2017, les experts l'ont montré. Menés sur le thème " Crises redoutées, résiliences escomptées et étapes à franchir ", les travaux ont en effet établi que prévenir les crises nécessite d'établir des cadres de référence associant de multiples acteurs appelés à les gérer ou à contribuer à la résilience des territoires (f).
3- Des cadres de référence à établir à toutes les échelles
Dépasser l'urgence climatique pour aller vers l'action peut s'envisager en renouvelant le projet pour en faire un objet fédérateur, producteur de sens et porteur d'enjeux vitaux.
Définir un cadre international est une première incitation au renouveau des projets. A l’échelle planétaire, même si les conférences suivantes marquent le pas, l’accord de Paris sur le climat a lancé le mouvement. La 15e Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique qui se tiendra en octobre 2020 à Kunming, en Chine sera aussi importante pour définir un cap en matière de préservation de la biodiversité.
Orienter les financements à l'échelle européenne est aussi un stimulant à l'action. La présidente européenne Ursula Von der Leyen a annoncé le 11 décembre dernier que l'Europe s'engageait dans la mise en place d'un Pacte vert destiné à réorienter les investissements et à adapter les règlements. En écho au Plan Marshall ayant présidé aux Trente Glorieuses, la mise en place d'un tel pacte créerait les conditions favorables au changement de modèle nécessaire pour fédérer les énergies sur une nouvelle génération de projets.
Une politique publique à la hauteur des enjeux est un autre vecteur du projet. En France, l’adoption le 8 novembre 2019 de la loi Énergie-Climat fixant des objectifs à atteindre en 2050 agit dans ce sens. Il en est de même de la décision d'abandon de l'opération Europacity prise la veille par le conseil de défense climatique.
Fortement porté par les élus locaux défendant la création d’emplois, Europacity était une opération de grande ampleur visant à la dynamisation d’un secteur géographique économiquement déprimé du nord de l'Ile-de-France par l’aménagement du Triangle de Gonesse (Val-d’Oise) en hyper-centre commercial. Cette opération impliquait cependant la consommation massive de terres agricoles de qualité, proches de la région parisienne, en contradiction avec des impératifs de sécurité globale : limitation de l’imperméabilisation des sols, développement des circuits courts agricoles.
L’arbitrage rendu opère un véritable renversement des valeurs. Une approche transversale soucieuse des CG a primé sur une analyse de performance insuffisamment sensible à ceux-ci. Les promoteurs du Triangle de Gonesse sont incités à concevoir un projet alternatif à celui présenté, qui soit exemplaire pour le 21ème siècle.
La décision prise traduit la volonté de la puissance publique de rehausser un ensemble de politiques thématiques, souvent environnementales, en des composantes d'un enjeu global de sécurité des territoires. Cette approche transversale prend le relais des approches sectorielles souvent en limites d’efficacité face au poids des demandes sociétales ou des analyses économiques, encore ancrées dans le modèle des 30 Glorieuses.
Ces cadrages généraux se mettant en place, les territoires doivent encore se doter de stratégies pour orienter le déploiement d'une variété de projets appelés à être de natures très différentes. Les étapes qui s'annoncent sont celles de la mise en en place de ces stratégies.
Réunis par le Cerema à Lyon en janvier 2019, une cinquantaine d’experts s'est attachée à travailler sur cette perspective en traitant des grands défis à relever par les métropoles et les territoires sous l'angle de l'ingénierie, des effets de levier et des stratégies (g).
Les travaux menés donnent à voir ce que peuvent être les cadres de référence, reliant entre eux les projets de nouvelle génération et tissant des relations "heuristiques" entre décideurs, professionnels, scientifiques et porteurs d’initiatives, là où les découpages institutionnels incitent chacun à œuvrer séparément suivant un schéma "logarithmique". Ces travaux ouvrent d'autres pistes encore. Par exemple, ils invitent à reconsidérer les fondements de l'aménagement en plaçant l'arbre et plus généralement la nature comme un élément structurant des projets urbains, alors que cet élément était antérieurement marginalisé.
3- Une attente sociétale propice à la reformulation des projets
Les projets à constituer pour répondre aux CG ne partent pas de rien. Depuis des années déjà, des initiatives sont prises en faveur de la prévention et de la gestion des risques majeurs, de la promotion des solutions fondées sur la nature, de l’essor des énergies renouvelables, de la dé-carbonisation des activités, de l’organisation des mobilités douces.
Ces actions ciblées sont le fait de préventeurs, de pionniers, de laboratoires de recherche, de développeurs et aussi de politiques publiques sectorielles engagées depuis de nombreuses années au titre du développement durable. Les techniques promues ont en commun de mettre en avant des techniques dites "douces", économes en ressources.
Il manquait une demande sociétale forte, ciment de ces initiatives sectorielles. Celle-ci se met en place progressivement.
Si la question climatique occupait déjà ces dernières années une place grandissante dans les préoccupations environnementales des français(es) (h), 2019 a en effet montré une cristallisation des inquiétudes climatiques, particulièrement chez les jeunes générations, en relation avec l’effondrement de la biodiversité et l’épuisement des ressources. La jeune Greta Thunberg n'est pas étrangère à cette prise de conscience collective. Défendant les droits de sa génération à bénéficier d'un avenir clément, la jeune suédoise s'est exprimée en 2018 devant le parlement suédois, en 2019 devant le parlement français, l'ONU et la COP 25. Elle a été désignée "Personnalité de l'année" par le magazine Time.
Les transformations collectives et individuelles à opérer sont cruciales. Les CG invitent en effet à reconsidérer les modes de vie, réorienter les pratiques économiques et redéfinir les règles collectives, par exemple en érigeant l’économie circulaire en nouveau modèle. Les territoires, les organisations comme les individus sont concernés par les mutations à opérer qui peuvent amener à reconsidérer la notion de ressources. S'agissant des territoires, certains parmi les plus déshérités aujourd'hui, disposent de potentialités à l'égard des défis à relever.
Ayant rechigné à se réformer, nos sociétés se trouvent confrontées à l’ampleur de la tâche à accomplir, dans un temps limité. Un véritable bras de fer se joue entre d’une part la capacité de l’homme à inverser une situation qu’il a lui-même créée et d’autre part la complexité planétaire faite d’un « mouvement brownien » donnant peu de place à une maîtrise des activités humaines. Le rapport des forces en présence renvoie au combat du frêle David contre le géant Goliath, faisant douter beaucoup de la victoire de David.
Pour certains, la civilisation industrielle est au bord du précipice, pour d’autres, elle est au pied du mur. Le débat ne peut être tranché de façon aussi simple. Pour sortir des impasses annoncées, la réalité complexe du monde ouvre des chemins d’avenir dont les approches totalisantes ne rendent pas compte.
Si l'on doute de la victoire de David face à Goliath, c'est parce qu'on néglige la puissance des effets leviers pouvant être obtenus du fait des changements sociétaux. Ces changements vont propices à reconsidérer les cadres régissant les activités humaines, à reconsidérer les modes de vie et de production pour les rendre compatibles avec les changements en cours.
4- Changer de modèle implique de privilégier la qualité sur la quantité
Changer de modèle implique de questionner les modes de vie. En 1965, l’écologue René Dubos, concepteur du fameux « penser global, agir local », soulignait que la santé de l'individu dépendrait plus de sa capacité à agir sur ses conditions et ses modes de vie, que de ses possibilités à s'opposer aux transformations de son environnement (i). C’est à des modes de vie plus sobres que les CG nous invitent, révélant les fragilités de notre civilisation matérielle devenue trop basée sur la consommation de biens et donc de ressources.
Les CG invitent également à redéfinir les règles c'est-à-dire les principes qui s'imposeront à l’échelle des territoires (le triangle de Gonesse), des organisations comme à celle des individus. Mise en place en France à l’automne 2019, la Convention Citoyenne pour le Climat traduit les enjeux démocratiques sous-jacents aux décisions à prendre au vu des impacts sur la vie des populations notamment des plus modestes.
Changer les modes de vie et modifier les règles vont de pair. Tant pour atteindre les objectifs de limitation de l'empreinte écologique des activités humaines que pour assurer une équité dans le partage des efforts et dans les échanges économiques. La finalité est aussi de réduire l'écart entre les modes de vie et les règles appliquées pour éviter que ces dernières ne pèsent trop fortement sur la vie des populations.
L'Italien Giorgio Agamben s’est posé la question de ce qu’est une vie qui se fond dans la règle (j). Pour ce faire, le philosophe a étudié le modèle associé à la vie monacale, fondée sur la communauté d'habitation. Au sein du monastère, le moine fait coïncider son mode de vie avec la règle communautaire. G. Agamben a appréhendé la tension qui se joue au sein du monastère entre « privé » et « commun » du fait même de la proximité extrême recherchée entre ces deux dimensions personnelle et collective.
Bien que le moine ait choisi une forme de vie radicale, dont il professe en acceptant d'être assimilé à son vêtement, la question se pose de la façon dont celui-ci parvient à surmonter cette tension. Pour G. Agamben, les préceptes que le moine doit observer s’apparentent davantage aux règles d’un art, comme relation à une pratique ininterrompue, qu’à un dispositif légal appelant le respect d’obligations.
Sachant que le modèle du "monastère" n'est pas généralisable, il est important de s’interroger sur l’extension qui pourra être donnée au nouveau paradigme appelé par les CG, visant à considérer la terre comme une communauté d’habitation appelant à respecter des règles et formes de vie communes. Il faudra trouver un point de fonctionnement acceptable par le plus grand nombre.
Substituer des modes de vie plus simples au modèle basé sur la consommation interroge la représentation que tout un chacun se fait de la pauvreté, vertu associée à la vie monacale, mais surtout situation redoutée dès lors que le pauvre est dépourvu de biens.
La pauvreté recouvre bien d'autres aspects. L'économiste et philosophe indien Amartya Sen la définit comme l’absence de "capacités" de mener la vie souhaitée, subordonnant la richesse à la liberté d’agir et à la qualité de vie (k).
Au vu de cette définition élargie, la pauvreté se trouve plus répandue qu'on ne le suppose souvent. Les limites et les dysfonctionnements du modèle consumériste peuvent s’apparenter à une forme de pauvreté que les populations expérimentent tout en disposant du minimum vital : toit, nourriture, accès aux soins, éducation des enfants.
Tout en bénéficiant de ce minimum, ces populations doivent lutter contre des obstacles les empêchant de bénéficier d’un mode de vie épanouissant. Il s'agit, par exemple, des difficultés rencontrées dans les grandes villes pour trouver un logement à un prix abordable ou l'isolement des personnes âgées particulièrement en milieu rural. C'est encore un temps trop long passé dans les transports pour aller travailler ou au contraire l'absence de moyens de déplacement adaptés aux besoins.
En relation avec ce sujet, un événement digne d’intérêt s’est produit mi-octobre 2019. La française Esther Duflo, l’indien Abhijit Banerjee et l’américain Michael Kremer ont reçu le prix Nobel d’économie pour leurs travaux sur la pauvreté.
Ces chercheurs ont montré que, pour une population pauvre, les modèles théoriques sont confrontés à la diversité et à la complexité des comportements humains. Ainsi, pour une population connaissant de nombreux obstacles à ses choix de vie, les politiques génériques ne peuvent porter des fruits sans que l’on étudie au cas par cas les communautés pour comprendre leurs pratiques et leurs priorités. En outre, ces personnes sont source de connaissances. Elles méritent d’être consultées sur ce qu’elles pensent, veulent ou font.
Pour tirer parti de leurs talents et garantir l’avenir des familles, les populations en situation de pauvreté nécessitent plus d’adresse, de volonté et d’implication que les autres : " Une information, un petit coup de pouce peuvent avoir des effets surprenants. A l’inverse, des attentes infondées, l’absence de confiance au moment lorsque l’on en aurait besoin et des obstacles apparemment mineurs peuvent être dévastateurs" (l). Pour Esther Duflo, actionner le bon levier change radicalement les choses. La difficulté est de déterminer le bon levier. Plus important pour elle, on ne résoudra pas tous les problèmes avec un seul levier.
Récompensés par le Nobel d'économie, les travaux menés donnent des méthodes pour agir dans la complexité. Esther Duflot nous rappelle par exemple que l’espoir est vital et la connaissance essentielle, qu’il faut persévérer, même lorsque les défis paraissent insurmontables. Elle invite à penser un défi comme une série de problèmes concrets qui, une fois correctement identifiés et compris, peuvent être relevés un à un.
De nombreux points communs existent entre lutter contre la pauvreté et reconsidérer les modes de vie. Les approches développées sont proches du projet à déployer pour intégrer les CG : privilégier la qualité sur la quantité, redécouvrir les richesses insoupçonnées des territoires, comprendre les freins et les moteurs aux changements, rechercher des résultats en acceptant chaque fois leur caractère temporaire et leur attachement à un contexte particulier.
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En matière de changements globaux et surtout de changement climatique, l'année 2019 a agi un peu comme un électrochoc. Les événements climatiques, les publications scientifiques et l'actualité politique ont convergé pour alerter l'opinion publique sur la portée de ces changements dont on commence à percevoir les effets. En France, en Europe et dans le monde, les plus hautes autorités gouvernementales ont invoqué l'urgence pour sensibiliser aux risques encourus et à la nécessité d'apporter des réponses adaptées aux défis soulevés.
Ouvrant sur l'action, cette dramatisation du sujet présente une face positive. La convergence des déclarations et des initiatives prises suscite l'émergence d'un projet global propice à fédérer les énergies de façon aussi forte que lors de la période des 30 Glorieuses.
Émergence encore fragile mais bien réelle d'un projet appelé à se développer dans un environnement plus incertain et adverse que celui ayant porté, en France, cette dynamique des 30 Glorieuses. Dynamique à laquelle nous restions souvent attachés comme à une force de rappel rassurante, dans l'attente d'une nouvelle dynamique prenant justement le relais.
Nous avons tenté d'esquisser les contours d'un tel projet global.
Cadrages internationaux, européens et nationaux, pacte de réorientation des financements, reconfiguration de la politique publique vers des approches plus transversales en sont des composantes. Certes imparfaites et inabouties.
Territoires et métropoles sont également parties prenantes du projet global. Ceux-ci sont appelés à établir des stratégies d'orientation et d'encadrement des projets d'action multiples. Stratégies construites avec les acteurs de différentes origines. Projets d'action de différentes natures, fédérateurs et porteurs de sens, orientés vers les transitions, la recherche de qualité plus que de quantité (modération), l'économie circulaire.
Les territoires en croissance seront appelés à reconsidérer leurs pratiques à l'aune de ces stratégies. Ceux sans projet ou en déprise peuvent redécouvrir leurs potentialités dans le contexte devenu celui des changements globaux. D'une certaine façon, l'horizon leur est à nouveau ouvert.
Gérer les changements globaux, c'est tout à la fois prévenir les catastrophes, intégrer les risques et aussi déployer, dans une dynamique d'ensemble, des projets de nouvelle génération aptes à peser sur ceux-ci.
Remerciement :
A Loéna Trouvé, élève à l'ENS Lyon, pour ses précieuses remarques de relecture.
Crédit photographique
Intervention de canadair dans la massif du Ventoux, 7 août 2019, Pierre-Alban Guézo
Plaque commémorative du Plan Marshall, 256 rue de Rivoli, Paris, décembre 2019, Bernard Guézo
Références bibliographiques
(a) Typhon Hagibis d’intensité 5 du 11 octobre 2019 au Japon : ce typhon a marqué un record en matière de pluviométrie sur 24 heures au japon (922.5mm à Hakone (préfecture de Kanagawa, près du Mont Fuji) sur la seule journée du samedi 12 octobre). Quelque 7,3 millions de Japonais ont reçu des consignes d'évacuation. Le bilan humain a pu dépasser les 72 morts, 14 disparus et 218 blessés.
(b) Rapports du GIEC 2019 : mai, Refinement to the 2006 IPCC Guidelines for National Greenhouse Gas Inventories ; août, Climate change and land ; septembre, The ocean and cryosphere in a changing climate.
(c) AllEnvi, La montée du niveau de la mer : conséquences et anticipations d’ici 2100, l’éclairage de la prospective, Rapport d’étude, octobre 2019 téléchargeable gratuitement
(d) Étude UICN, Ocean deoxygenation : everyone's problem : causes, impacts, consequences and solutions, 2019. En ligne sur le site UICN.org
(e) Nicole Aubert et Christophe Roux-Dufort, Le culte de l'urgence ; la société malade du temps, Coll. Champs Essais, 2009.
(f) Séminaire Résilience urbaine et sécurité des territoires. Crises redoutées, résiliences escomptées et étapes à franchir. Séminaire organisé à Lyon, les 19 et 20 octobre 2017. En téléchargement gratuit sur la boutique du Cerema.
(g) Sécurité globale et résilience des territoires. Ingénierie, effets de levier et stratégies à promouvoir. Séminaire organisé à Lyon les 18 et 19 janvier 2019. En téléchargement gratuit sur la boutique du Cerema.
(h) Publié en septembre 2019, le baromètre de l’IRSN sur la perception des risques et de la sécurité par les Français montre que le sujet environnemental le plus préoccupant pour les Français reste fin 2018 le réchauffement climatique, qui voit son score augmenter fortement : + 8 points par rapport à 2017 et + 29 points depuis 2013). Cette édition 2019 rend compte d’informations recueillies entre le 26 novembre et le 14 décembre 2018.
(i) René Dubos, L'homme et l'adaptation au milieu, Paris, Payot, Coll. Sciences de l'homme, 1973 (1965)
(j) Giorgio Agamben, De la très haute pauvreté, Règles et formes de vie, Coll. Rivages, Poche, 2013
(k) Amartya Sen, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, Coll. Odile Jacob, 2003
(l) Abhijit v. Banerjee et Esther Duflo, Repenser la pauvreté, Coll. Seuil, 2012
.... Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 1993
Changement climatique et risques globaux : les signaux forts de l’été 2019
La préoccupation du changement climatique est à la fois ancienne et permanente. La disparition, le 26 septembre 2019, de l’ancien Président de la République Jacques Chirac nous renvoie à sa déclaration du 18 avril 2002 à Avranches proposant d'adosser à la Constitution une Charte de l'environnement (extraits) :
« […] Les temps ont changé. Il y a quelques décennies, l’environnement n’était pas la première urgence. Depuis, des craintes se sont affirmées, des évidences se sont imposées, une prise de conscience a eu lieu. Jadis, nombre de catastrophes qui endeuillaient le monde apparaissaient comme des phénomènes isolés. Des phénomènes purement naturels, sans liens entre eux, essentiellement imputables à la fatalité.
Or, nous savons désormais, ou nous avons des raisons de penser, que certaines d’entre elles sont la conséquence de changements climatiques […] Nous savons désormais que l’activité humaine peut provoquer des réactions en chaîne sur les équilibres naturels, qu'elle peut créer des situations irréparables. Je pense par exemple à la disparition de la forêt primaire ou à la surexploitation des ressources des océans, qui menacent la richesse biologique du monde. [...]
Il y a également les prévisions alarmistes des experts. Elles nous annoncent pour 2020, si nous ne faisons rien, la désertification de la moitié des continents et des difficultés d’accès à l’eau potable pour deux habitants de la planète sur trois.
De tout cela, nous tirons un sentiment d'urgence et de menace. Sentiment que nous ne sommes pas protégés de certains dangers qui pourraient être anticipés, évités, maîtrisés. Sentiment que l’humanité, dans son ensemble, joue avec le feu. […] »
Depuis, dix-sept ans, la connaissance s'est accrue, des efforts ont été déployés pour sensibiliser aux transitions à effectuer, l'Accord de Paris est intervenu mais des adaptations majeures restent à opérer aux différentes échelles pour relever les défis des changements globaux (CG) et le premier d'entre eux, celui du changement climatique. Et 2020, est à notre porte.
Le 25 septembre 2019, veille du décès de l’ancien président, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publiait un rapport spécial sur les évolutions constatées dans les océans et la cryosphère. Ce rapport analyse les répercussions de ces bouleversements planétaires à venir et les options possibles pour l'adaptation des communautés humaines.
L’actualité du changement climatique a tout particulièrement marqué l’été 2019. Au moment de ce qu’il est habituel d’appeler la « parenthèse estivale », les manifestations du changement climatique ont sensibilisé sans discontinuer l’opinion publique et toutes les composantes actives de la société, aux menaces concrètes qui pèsent sur l’habitabilité de la planète à court, à moyen et à long terme.
Cette période n’a pas été vaine. La prise de conscience des transformations à mener pour répondre aux défis posés par le changement climatique et plus généralement par les changements globaux (CG) : changement climatique et ses effets, mais aussi effondrement de la biodiversité, raréfaction des ressources, urbanisation accélérée, révolution numérique, etc. semble enfin effective !
Les CG modifient en profondeur les relations entre sociétés, ressources et risques [a]. Ils nécessitent par conséquent de reconsidérer sans attendre ces rapports dans un sens favorable à l’humanité. Ce chantier de grande ampleur peut s’ouvrir dans de bonnes conditions dès lors qu’il reçoit l’adhésion du plus grand nombre.
L’objet de cet article est d’analyser l'actualité climatique des dernières semaines pour illustrer la période de l’histoire de l’humanité dans laquelle nous sommes entrés, celle des changements globaux produits par l’action humaine, des nouveaux risques qui en résultent. Il est aussi de poser la question des éléments de méthodes à promouvoir pour créer des conditions favorables à la résilience et à l’adaptation des territoires.
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Nul ne peut ignorer les signaux forts de l’été 2019 en matière de changement climatique. En dresser un rapide tour d’horizon peut se faire en distinguant les événements selon leur temporalité.
Commençons par les aléas climatiques d’effets directs sur les populations. Ce sont bien évidemment ceux qui ont le plus marqué les esprits.
Deux épisodes caniculaires ont altéré la vie quotidienne de la plupart des français, les obligeant à se confiner chez eux, à réduire ou à maintenir leurs activités dans des conditions difficiles. Ces vagues de chaleur ont submergé la France métropolitaine, respectivement du 24 juin au 7 juillet puis du 21 juillet au 27 août. Un bilan provisoire établi par le ministère de la santé1 fait état d’un impact sanitaire modéré sur les chiffres de la mortalité alors même que les événements ont revêtu un caractère inhabituel et inédit quant à leur extension géographique et au niveau très élevé atteint par les températures.
Le fait que l’impact humain ait été modéré ne signifie pas pour autant que ces épisodes météorologiques soient insignifiants. Survenant après les épisodes de 2015 et 2018, ils consacrent en effet « la canicule » comme une nouvelle composante du paysage météorologique français. Si cet aléa climatique était quasiment inconnu dans notre pays au siècle dernier, il devient, au même titre que la sécurité routière par exemple, un sujet « ordinaire » de sécurité publique.
Les incendies de forêts ont été particulièrement actifs dans le sud de la France. Ils ont été maîtrisés, non sans difficultés. La population a été épargnée mais la lutte contre le feu a coûté la vie à un pilote de canadair. Comme ce fut le cas les années passées, la résilience a joué, évitant le pire, mais elle est fragile. Le défi devra être relevé chaque année en responsabilisant la population et en resserrant l’action collective des acteurs de l’aménagement, de la prévention et de la lutte contre le feu. Les incendies menacent également des régions situées au nord de la France, qui jusqu’ici en étaient préservées ce qui nécessitera d’y déployer une culture de prévention et de défense contre le feu qui en était souvent absente.
La sécheresse s’est accentuée tout au long de l’été ; ses stigmates sont encore bien présents en début d’automne. Elle a induit des restrictions préfectorales d’usage de l’eau dans la majeure partie des départements français. Elle a sévi superficiellement et aussi en profondeur, affectant les nappes et les réserves hydriques de façon parfois inédite. Le manque d’eau affecte gravement les agriculteurs et les forestiers, c’est-à-dire ceux dont les activités sont immédiatement tributaires des conditions météorologiques. Elle a endommagé des habitations construites sur des terrains sujets au phénomène de retrait-gonflement des argiles. Elle a perturbé encore les services publics en mettant en péril localement l’approvisionnement en eau. La sécheresse fait surgir le spectre d’une raréfaction de la ressource hydrique, jusqu’ici relativement abondante en France.
Ces différents aléas : canicules, sècheresse, incendies de forêts, interagissent entre eux. Ainsi, la canicule aggrave la sècheresse qui favorise les conditions propices aux incendies de forêts. Les acteurs locaux et les autorités publiques doivent faire face de façon impromptue aux situations critiques produites localement par les concomitances de ces phénomènes.
A l’échelle nationale comme à des échelles plus locales, des dispositifs ont pour objet de répondre aux détresses humaines résultant de ces événements. Ils permettent la sauvegarde des populations, limitent les atteintes aux biens et aux activités. La résilience joue mais, comme chaque fois, elle nécessite d'être réexaminée : est-elle suffisamment robuste pour opérer, année après année, dans le contexte d’accentuation continue de la pression climatique ?
Les perturbations climatiques de l’été 2019 ont joué un rôle de test en grandeur nature vis-à-vis des conditions météorologiques sévères du futur. Elles ont révélé tout à la fois l’efficacité en France des dispositifs de réponse aux aléas climatiques, et, tout autant, leur fragilité lorsque les situations deviennent critiques. Les enseignements tirés de ces événements invitent à retravailler en permanence les modalités de la protection collective apportée par les institutions, dans le sens attendu d’une sécurité des territoires que l’on peut ici qualifier de globale compte-tenu de l’étendue des problématiques soulevées par les CG.
Outre les aléas précités, directement observables par les dommages causés, l’élévation continue des températures produit des effets préjudiciables différés, moins apparents : progression vers le nord des moustiques-tigres, altération de la qualité des eaux continentales, fonte des glaciers et du permafrost en montagne, érosion régulière des littoraux, acidification des océans et montée des eaux. Les effets induits sont à chaque fois multiples. A titre d’exemple, la fonte du permafrost en France porte atteinte au patrimoine naturel, met en péril des activités hivernales liées au manteau neigeux, fragilise des massifs rocheux, des infrastructures et des constructions en haute-montagne. Les gestionnaires des territoires et des infrastructures doivent faire preuve de vigilance pour surveiller les signes de défaillance possibles et prévenir leurs effets.
Un autre type de risque est encore généré par des aléas qui, se produisant en des lieux particuliers de la planète, peuvent avoir à grande distance des implications dommageables, à court ou moyen termes. Ce type d’effets distanciés n’est pas inédit. L’éruption en 1815 du volcan Tambora, en Indonésie constitue un événement de référence. Cette éruption fit des milliers de victimes localement mais elle modifia aussi le climat planétaire pendant quelques années. L'année 1816 est ainsi connue comme "l'année sans été". Des perturbations climatiques majeures s’observèrent alors aux États-Unis, en Europe et en Chine2. Cet effet en cascade perd aujourd’hui son caractère exceptionnel du fait des effets systémiques favorisés par les CG.
La période estivale 2019 a été ainsi ponctuée de catastrophes éloignées de notre Pays. Les médias ont rapporté la fonte de la banquise et du permafrost dans les régions Arctique. Les incendies en Sibérie, en Amazonie ou encore en Indonésie sont également des marqueurs de ce type de menaces. Les observations satellitaires, menées par exemple par la NASA, rendent compte en temps réel des « points chauds » de la planète, véritables accélérateurs du changement climatique.
Désastreuses localement, ces catastrophes majeures sont aussi emblématiques d’un risque global par leur ampleur et par les lieux du globe qu’elles touchent, considérés comme névralgiques pour l’habilité future de la planète. Elles posent la question de la capacité des États concernés, pourtant bien structurés, de les prévenir ou d’y faire face de façon autonome dans des conditions satisfaisantes. La résilience n’implique-t-elle pas une coopération internationale forte ?
L’été 2019 a vu encore les perspectives alarmantes du changement climatique documentées sur le temps long. La période estivale a ainsi vu la production de nouveaux rapports scientifiques ou techniques dont celui du GIEC du 9 août 2019. Élaboré par plus de cent experts provenant d’une cinquantaine de pays, ce rapport portait sur la thématique du changement climatique et des terres émergées. Il alerte en particulier sur la désertification, la dégradation des sols, la nécessité d’une gestion durable des terres, le risque porté à la sécurité alimentaire. La projection sur le futur traite des actions à engager pour accroître la résilience des territoires et réduire leur vulnérabilité.
Paru le 29 août 2019 aux Presses de Sciences-Po, un atlas de l’anthropocène décrit les bouleversements en cours, depuis le changement climatique en passant par l’érosion de la biodiversité, les évolutions démographiques et les catastrophes naturelles.
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Les événements et informations ayant marqué l’été 2019 [la revue précédente n’est pas exhaustive] ont créé une sorte « d’ébullition sociétale » qui s’est exprimée dans les médias et les réseaux sociaux. Les faits rapportés ont été corrélés, réinterprétés presque en temps réel, en regard des modèles d’évolution pré-établis.
S’en sont suivis des débats de société et des prises de position politiques y compris au sein des instances de gouvernance mondiales (G7). De grandes entreprises ont communiqué sur des stratégies de compensation ou d’évitement des évolutions climatiques à venir. Des "think tank" se mobilisent pour éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique, en France et en Europe3. La jeune égérie du climat, Greta Thunberg, s’est exprimée à l’assemblée nationale. Le 17 septembre 2019, un collectif de représentants des dirigeants de l’enseignement supérieur a appelé dans une tribune à agir face aux enjeux écologiques en rendant obligatoire la formation des étudiants à cette question. Enfin, « l’été climatique » s’est achevé par un sommet de la jeunesse pour le climat, tenu à l’ONU le 21 septembre 2019.
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L’actualité climatique de l’été 2019 illustre le nouveau stade de l’histoire de l’humanité dans lequel nous sommes récemment entrés, dénommé communément « anthropocène ». Pour le comprendre de façon très simple, distinguons trois stades successifs de la relation de l’homme à son environnement planétaire.
1/ Un premier stade de l’histoire de l’humanité correspond aux sociétés traditionnelles. Sédentaires ou nomades, celles-ci exploitaient leur environnement de proximité en utilisant des méthodes simples et des outils rudimentaires qui ne modifiaient pas durablement les écosystèmes. L’activité de l’homme n’entachait pas les agents naturels.
Les populations se protégeaient des déchaînements de la nature en mobilisant des savoirs vernaculaires et en acceptant des pertes. Elles subissaient de temps à autre des calamités destructrices sans pouvoir les anticiper, faute de connaissances et de moyens d’observations.
2/ Un deuxième stade de l’histoire de l’humanité est celui où l’homme a entrepris d’aménager les territoires pour satisfaire ses besoins. Ce faisant, il a exploité de plus en plus fortement les ressources naturelles, considérées à tord comme inépuisables. En développant les techniques et les outillages, en repoussant toujours plus les limites de son action, il a marqué de son empreinte les agents naturels (terre, air, eau), sans que cette empreinte ait eu à ce stade un impact en retour sur l’habitabilité globale de la planète. On pourrait pour cette raison qualifier cette empreinte humaine de « passive ».
Les échanges de biens à l’échelle de grands territoires prémunissaient l’homme des aléas climatiques localisés. Les dommages produits localement par les catastrophes naturelles étaient largement compensés par des gains de richesse. Au fur et à mesure que les sociétés se sont organisées, réduire les catastrophes et compenser les dommages subis sont devenus des perspectives offertes par des dispositifs de prévoyance et par la réalisation … de nouveaux aménagements.
3/ Dans les dernières décennies, l’action anthropique s’est massifiée. Les interactions entre l’homme et les agents naturels se sont intensifiées. Des seuils d’acceptabilité par les écosystèmes ont été franchis. A l’échelle planétaire, les agents naturels sont sollicités ou altérés au-delà de leur capacité de régénération. L’homme marque toujours plus l’environnement de son empreinte locale, mais cette empreinte a aussi, en retour, un impact global sur la planète. Un troisième stade de développement de l’activité humaine s’est ouvert, caractérisé par les effets systémiques de ses activités. On pourrait qualifier alors cette empreinte humaine « d’active ».
L’ensemble « action anthropique/agents naturels » fait aujourd’hui système, c’est-à-dire que les impacts des activités humaines sur les agents naturels rejaillissent globalement sur l’habitabilité de la planète. Cette rétro-action génère des changements globaux dont les aléas précités de l’été 2019 sont des manifestations concrètes bien qu’encore modérées.
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Le monde change ; les sociétés doivent accompagner ces changements par des projets fédérateurs rendant l'avenir désirable pour les générations futures. De multiples initiatives pionnières sont déjà prises montrant des voies à suivre. Les grandes transformations sociétales à opérer sont également bien identifiées. Elles portent en particulier sur la consommation d’énergie, les pratiques alimentaires ou encore les modalités de transport4.
Les menaces qui pèsent sur le devenir de l’humanité obligent de toute façon à bouger. Or, attendue aux différentes échelles, l’action se heurte à de multiples écueils qu’il est nécessaire de discerner. Nous avons identifié :
- la tentation d’agir à la marge, par simple ajustement des pratiques anciennes sans les reconsidérer en profondeur. Ces ajustements sont pour le moins nécessaires mais ils ne suffiront pas. Ils s’inscrivent dans la période de l’histoire humaine précitée, qui n’est plus ; celle des limites que l’on peut toujours repousser sans en subir les conséquences en retour.
- l’acceptation résignée de la période "rétro-active" dans laquelle nous sommes entrés, par peur de ne pas être en mesure de relever les défis posés. La peur est cependant mauvaise conseillère. Elle fait obstacle à l’action collective, une composante essentielle de la résilience.
- le règne de l’urgence, en réaction à l’inertie. Or, la précipitation peut être source de contre-performance, de décrochages sociétaux, d’angoisse existentielle et encore d’essoufflement dans ce qui ressemble à une course de fond.
Ces attitudes de rejet, de repli ou de désarroi sont profondément humaines. Les plus grands penseurs les ont bien analysées. Hannah Arendt s'est effrayée de la tendance de l'homme à se détourner des réalités les plus essentielles pour se replier sur lui-même au lieu de les affronter [b]. Norbert Élias a identifié des attitudes irrationnelles adoptées collectivement pour fuir une réalité menaçante [c]. Face aux défis posés par une réalité exigeante, Clément Rosset a lui aussi montré la fragilité humaine. L'individu, au regard « fuyant », préfère se bercer d'illusions. Le plus souvent, il perçoit les choses, mais préfère se voiler la face que de les prendre en compte [d].
L’ancien président français Jacques Chirac affirmait lui-même en 2002 au sommet de Johannesburg : « La maison brûle et l’on regarde ailleurs », énoncé qui est entré dans l'histoire.
Quant à François Ewald, il déclarait dès 1996 : ''La peur dont nos sociétés avaient peut-être cru pouvoir s'affranchir, en fonction de l'utopie progressiste, revient sous une nouvelle forme'' [e]. Les changements globaux précipitent cette perte de confiance dans le progrès. La relation au risque s’est inversée ; de positive, elle est devenue négative .
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Au vu des événements de l’été 2019, on peut dire que l’actualité climatique a mis sous tension le processus historique engagé par l'homme pour se détacher du passé et se projeter dans l'avenir, que l’on appelle « modernité ». Ce processus de changement a extrait les activités humaines de leur échelle locale pour les recomposer en combinant les échelles spatio-temporelles [f]. Il a utilisé la connaissance comme moyen de réviser en permanence ses pratiques. Or, sur ces bases, la modernité s’est d’une certaine façon autonomisée en faisant système avec les agents naturels, inaugurant l’ère de l’anthropocène.
Élaborer les bonnes réponses pour faire face aux CG en cours requiert des éléments de méthode. Ce besoin est rarement identifié comme nécessaire pour lever les obstacles à l'action.
Parmi les éléments de méthodes, figure en bonne place la réflexion collective, qu’Edgar Morin a toujours défendue : '' […] Aujourd'hui, toutes ces connaissances fragmentaires ont quelque chose de mortel. On a créé des catastrophes naturelles en détournant des fleuves en Sibérie ou en faisant des barrages inconsidérés, on a détruit des cultures dans une logique économique close. Il s'est développé ce que j'appellerai une intelligence aveugle aux contextes et qui devient incapable de concevoir les ensembles. Or nous sommes dans un monde où tout est en communication, en interaction...[g]''.
La question de méthode se pose aussi aux territoires. Des collectivités se sont engagées dans l'élaboration de stratégies de résilience sous l'égide du réseau Resilience cities mis en place par la Fondation Rockefeller.
Introduite par Pierre Veltz pour traiter de compétitivité économique des territoires [h], la notion de monitorage territorial, est également mobilisable. Par monitorage, il faudrait entendre ici un suivi institué à l’échelle territoriale des évolutions et des contextes, des événements et des mutations liés aux CG. Le monitorage recouvrirait également les initiatives prises par les acteurs des territoires pour s'engager dans la prise en considération, des effets induits de leurs interventions. Il s'agit donc d'admettre une bonne fois pour toute que si des activités s'exercent de façon autonome, dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, elles interagissent entre elles.
Tenir compte de ces interdépendances nécessite de recréer des espaces de confiance permettant à l’activité humaine d’être de nouveau ... favorable à l’homme. Rétablir la confiance dans la capacité de l’homme à régir son avenir de façon positive nécessite d’établir des conditions de réflexions permettant des décisions réfléchies, flexibles, évaluées et réajustées. Il convient de renouer avec l’esprit de sagesse [8], attribué autrefois aux « anciens », comme moyen de tisser des liens porteurs de sens entre connaissance et actions, là où, trop souvent encore, le recours aux technologies est vu comme le remède miracle, évitant de se poser des questions.
Confrontés aux CG, les territoires revitaliseront sans doute leur fonction première d’assurer la reproduction et la satisfaction des besoins vitaux d’une population en mobilisant un système de ressources (localisées ou non) et un héritage construit et mémorisé [j]. Cette fonction rend sous-jacente la notion de sécurité, appelée à devenir globale. Créer des conditions favorables à la résilience et à l’adaptation répond par conséquent à la vocation même des territoires. L'été 2019 a lancé des signaux forts dans ce sens.
Références utilisées
[a] Denis Lamarre, Les métamorphoses du climat, Éditions universitaires de Dijon, 2016
[b] Hannah Arendt Qu'est ce que la politique ? Paris, Éditions du Seuil, Coll. ''Points'', 2001
[c] Norbert Élias, La société des individus, Paris, Éditions Fayard, Coll ; ''Agora'', 2006
[d] Clément Rosset, Le réel et son double, Paris, Éditions Gallimard, coll. ''Folio Essais'', 2007 (1993, 1976)
[e] François Ewald Philosophie de la précaution, L'année sociologique, Volume 46 n°2 1996
[f] Anthony Giddens, Les conséquences de la modernité, Éditions L’Harmattan, 1994
[g] Boris Cyrulnick et Edgar Morin, Dialogue sur la nature humaine. Éditions de l'Aube. Juin 2004
[h] Pierre Veltz, La grande transition, Éditions du Seuil, mars 2008
[i] Juergen Weichselgartner, John Norton, Guillaume Chantry, Emilie Brévière, Patrick Pigeon et Bernard Guézo, « Culture, connaissance et réduction des risques de catastrophe : liens critiques pour une transformation sociétale durable », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 16 numéro 3 | décembre 2016, mis en ligne le 20 décembre 2016, consulté le 26 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/18130 ; DOI : 10.4000/vertigo.18130
[j] Maryvonne Le Berre, Territoires, encyclopédie de la géographie, Éditions Economica, Paris, 1992
1 Selon un communiqué de presse du ministère de la santé, la surmortalité a été limitée au regard de l’intensité de l’épisode subi cette année : 1 480 décès supplémentaires ont été enregistrés par rapport à la moyenne observée aux mêmes périodes des années sans épisode de canicule. Le rapport est de 1 à 10 par rapport à l’été caniculaire 2003.
2 http://www.meteo-paris.com/actualites/1816-l-annee-sans-ete-apres-l-eruption-du-tambora-04-avril-2016.html
3 The carbon transition think tank par exemple se veut une force de proposition contribuant à faire partager les solutions, développer des outils, identifier les ruptures nécessaires et baliser les chemins d’accès à de nouveaux modèles de développement.
4 Quotidien La Croix du 23 septembre 2019. Trois leviers pour agir sur le climat
« Anthropocène, effondrement, adaptation, résilience » : un cadre d’analyse et d’action à mettre au service d’une vision engageante de l’avenir.
Pour appréhender les changements globaux (CG) en cours, de nouveaux concepts ont vu le jour ces dernières années : anthropocène et effondrement, adaptation et résilience. D’origines différentes, largement débattus, ces concepts fondés tous sur l’idée de risque posent fondamentalement la question de leur contribution d’ensemble à l’édification d’une vision engageante de l’avenir.
La notion d’anthropocène tout d’abord signifie que l’activité humaine liée à l’ère industrielle agit aujourd’hui au niveau d’une force géologique. Par son empreinte, cette activité modifie le monde. Les transformations planétaires enclenchées sont rapides, accélérées et cumulatives. Issue des sciences géologiques, l’anthropocène ouvre sur les sciences de la terre et de la nature dans leur ensemble : terre, climat et vivant sont intimement liés dans leur histoire. Elle ouvre aussi sur les sciences de l'Homme (anthropologie en particulier). L’anthropocène recouvre ainsi les questions du changement climatique, de la biodiversité et des relations de l’homme à la nature.
La notion d’anthropocène génère deux conséquences majeures :
- elle bouleverse notre référentiel de connaissances conventionnelles pour y intégrer en force les interactions qui se produisent entre humains et non-humains.
- elle manifeste une moindre habitabilité croissante du monde, par effet en retour sur l’homme de son empreinte sur l’environnement.
Associée à la trajectoire actuelle de l'humanité, l’effondrement est une notion qui s’est affirmée plus récemment, par exemple en matière de biodiversité. Elle traduit les conséquences désastreuses, c’est-à-dire à la fois dommageables et irrémédiables, d’une inertie des sociétés industrielles à reconsidérer leurs valeurs fondamentales pour tenir compte de … l’anthropocène.
Cette notion recouvre des possibles effets en cascade ou emballements, liés à la convergence de différentes crises : écologiques, énergétiques, sociales, etc. ; configuration défavorable qui pourrait pour certains conduire à … un effondrement global. Intégrant ainsi « le pire scénario possible » auquel l’humanité est exposée du fait des CG en cours, l’effondrement est devenue la référence des lanceurs d’alerte et souvent de ceux qui adoptent des modes de vie radicalement alternatifs.
La notion d’adaptation est spécifiquement invoquée pour répondre aux conséquences inéluctables du changement climatique. Elle est héritée de la réduction de la vulnérabilité aux risques naturels. La place de ce principe directeur s’est affirmée dans la prévention des catastrophes à la suite de l’ouragan Katrina ayant affecté la Nouvelle-Orléans en août 2005. A la suite de ce désastre, il est apparu évident aux yeux de tous que prévenir la catastrophe ne pouvait se faire sans prendre en compte l’ensemble des vulnérabilités d’un territoire : organisationnelle et structurelle, sociale, économique et environnementale... comme les relations qui existent entre ces vulnérabilités de différents types.
S’adapter signifie par conséquent réduire sa vulnérabilité aux agents climatiques - tant par exemple une sécheresse qu’une inondation - en agissant simultanément sur les différents aspects précités. L’adaptation ne dispense pas, bien au contraire, d’agir pour réduire l’empreinte environnementale.
Utilisée de longue date dans différents champs disciplinaires (écologie, économie, psychologie), la notion de résilience s’est également affirmée comme pertinente pour la gestion des territoires confrontés à des défis [ayant souvent à voir avec l’anthropocène], c’est-à-dire à des enjeux qui ne peuvent être traités par des méthodes sectorielles et fonctionnelles. La résilience se pratique particulièrement dans les démarches dites de transition.
Révélant la fragilité extrême d’un pays industriel avancé, exposé à un aléa majeur, le tsunami du Japon de mars 2011 a joué un rôle dans la reconnaissance de la résilience comme une façon pertinente d’anticiper et d’affronter des aléas variables en occurrence ou en intensité, hybrides dans leur nature et incertains dans leur développement. De façon très différente, l’inventivité des habitants de la ville de Détroit (USA), a marqué les esprits sur ce que peut être la résilience d’une population affectée par un processus dommageable, ici de faillite économique et financière.
La résilience traduit la réponse dynamique apportée pour rebondir face aux agressions de toutes natures et à leurs effets. Elle implique en particulier :
- de faire le deuil d’un état passé « confortable » - qui ne sera plus - pour construire un nouvel état désirable profondément différent de l’état antérieur mais qui préserve l’essentiel.
- d’agir collectivement, en mobilisant des ressources insoupçonnées, pour relever les défis posés par les changements globaux.
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Pour répondre au défi des CG, ces quatre concepts nécessitent d’être reliés. Ensemble, ils définissent un cadre de réflexion, d’analyse et d’actions avec lequel il faut composer pour œuvrer dans le sens d’une sécurité globale des territoires, c’est-à-dire d’une sécurité qui prenne en compte tous les risques pouvant perturber les territoires sans exclure d’ailleurs les risques, qui se surajoutent, de malveillance.
S’engager ainsi dans les CG préside, espérons-le, à l’émergence d’une économie, plus fidèle à l’étymologie de « bonne gestion de la maison » ; économie plus globale donc que celle existante, dont Jean-Pierre Dupuy espère dans « L’avenir de l’économie 1» qu’elle sera plus morale et politique.
En définitive ...
Définissant le champ des contraintes systémiques dans lequel nous évoluons et sur lequel nous devons agir, l’anthropocène est génératrice d’obligations des générations présentes envers les générations futures.
La résilience est un mode d’action approprié pour conduire nos sociétés tout à la fois à s’adapter et à réduire leur empreinte en mobilisant leur énergie, leur créativité et leurs savoir-faire. Elle implique de changer de façon de voir les choses.
Sans qu'il soit besoin d'aller jusqu'au pire scénario qui puisse survenir, l’effondrement invite à la responsabilité. L'urgence à agir qu'il motive renvoie au « catastrophisme éclairé » prôné par Jean-Pierre Dupuy. Pour ce philosophe et ingénieur « Le défi que posent les catastrophes majeures, qu’elles soient de type moral, naturel, industriel ou technologique, est que leurs victimes potentielles ont du mal à croire en leur imminence alors même qu’elles disposent de toutes les informations pour savoir que le pire est probable, sinon certain. Ce n’est pas le manque de connaissance qui implique que l’on n’agisse pas, mais le fait que le savoir ne se transforme pas en croyance. C’est ce verrou qu’il s’agit de faire sauter. La méthode du catastrophisme éclairé consiste à faire comme si la survenue de la catastrophe était notre destin, mais un destin que nous sommes libres de refuser […]. Cette fatalité une fois assurée cependant, produit l’élan moteur qui fait que se mobilisent des ressources d’imagination, d’intelligence et de détermination résolue, toutes nécessaires à la prévention de la catastrophe. 2»
Reste qu’invoquer la catastrophe et la possibilité de la prévenir n’est pas la seule voie à mobiliser pour bâtir des feuilles de route multiples et différenciées. Il faut certes parvenir à les mettre à l’agenda mais il est aussi important de les rendre motivantes et fédératrices. Cette composante de la résilience est nécessaire pour tourner le dos aux tentations du repli sur soi ou de la désespérance et édifier un avenir désirable supplantant les errements du présent.
Réussir dans cette voie implique la mobilisation non seulement des politiques, des scientifiques, des professionnels et des citoyens mais aussi des philosophes et des acteurs de la culture et des arts. Ces mondes producteurs de sens sont encore insuffisamment convoqués pour comprendre et rendre séduisant le futur qui s’ouvre à nous.
1 Jean-Pierre Dupuy, L’avenir de l’économie, Ed. Flammarion, Paris, 2012, 292 pages.
2 Ibid.