De la société du risque à celle de la sauvegarde

Les COP fragiles et héroïques signaux de l'urgence climatique

Comme les précédentes conférences climatiques onusiennes, celle de Bélem se heurte aux difficultés d'accorder les États sur une réponse à l'urgence climatique. Pourtant, les COP nous rappellent inlassablement que nous sommes entrés dans l’ère de la sauvegarde. Sauvegarde de la Terre ou plutôt de l’Humanité.

Le changement climatique est en effet l’une des sept limites planétaires sur neuf dépassées. Ces dépassements nous font courir le risque de points de bascule des équilibres terrestres.

Cette situation critique invite à repenser en profondeur les modes de vie et de développement. L’exigence morale est celle de la transmission aux générations futures du patrimoine hérité des générations passées. Ce patrimoine est tout à la fois humain, naturel, bâti et plus globalement culturel.

Les menaces majeures portées à l’habitabilité de la planète sont multiples, souvent interconnectées. La préoccupation de la sauvegarde peut par conséquent être abordée de diverses façons. Elle peut être portée dans de nombreux champs d’activité ou de gestion, traitée à différentes échelles.

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Risques naturels : quelles répliques aux événements extrêmes ?

Préambule

Les événements extrêmes répétés sont des défis à relever ...

Ces derniers mois, des catastrophes naturelles dramatiques, parfois tragiques, ont marqué l’actualité par leur caractère « hors normes ». Leur point commun est d’avoir été activées par des aléas dévastateurs portant, d’une façon ou d’une autre, l’empreinte du changement climatique.

Ces événements extrêmes ont mis en jeu des vies humaines en grand nombre. Aussi, ils ont souvent et à juste titre concentré l’attention sur la diffusion de l’alerte aux populations. Cette diffusion, rapide et dans de bonnes conditions, est en effet essentielle pour sauver des vies menacées.

La Dominique, Parc National de Le Roseau, 2012. Photo B. Guézo

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Chido : quel récit pour le relèvement de Mayotte ?

 

Si le cyclone ayant frappé Mayotte le 14 décembre 2024 reste dans tous les esprits, d’autres catastrophes naturelles ont depuis capté l’attention des médias français : inondations en Ille-et-Vilaine, méga-incendies à Los Angeles, cyclone Garance ayant durement frappé La Réunion. Fin mars encore, la Birmanie est frappée par un puissant séisme meurtrier et destructeur.

Pour tous ces événements dramatiques rythmant l’actualité, le temps du relèvement succède immanquablement à celui de l’émotion. L’enjeu est de taille. A chaque fois, les territoires meurtris doivent se reconstruire, réduire leur vulnérabilité et redéfinir une trajectoire motivante pour leur population. C’est particulièrement le cas pour l'archipel mahorais dévasté par Chido.

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Inondations catastrophiques de l'automne 2024 : la question sous-jacente de l’aménagement

Dans le contexte des récentes inondations automnales, dramatiques en France et tragiques en Espagne, un événement politique a connu un écho médiatique discret et éphémère : la venue du Premier Ministre Michel Barnier, dans le département du Rhône le 25 octobre dernier.

Michel Barnier a tout d’abord rencontré les entreprises et les commerçants de Givors, sinistrés le 17 octobre 2024 par les débordements du Gier intervenus quelques jours plus tôt. Il s’est ensuite rendu à Eveux pour constater le bien-fondé d’un aménagement de la rivière La Brévenne.

Réalisé en 2019, l'aménagement du Val des Chenevières fait office de zone d’expansion des crues en amont immédiat de la ville de l’Arbresle. Adossé à d’autres équipements, cet aménagement participe ainsi à la protection hydraulique de la ville, tout en apportant tout au long de l’année des aménités utiles aux citadins de tous âges.

Aménagement des Chenevières sur la rivière La Brévenne. Situé sur la commune d'Eveux (Rhône), cet aménagement fondé sur la nature se situe en amont immédiat de la ville de l'Arbresle. Photo B. Guézo, 2021

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Gestion des risques et des crises : la boîte à outils du temps

Suspendue à des échéances électorales à forts enjeux, l’actualité nationale a fait peu écho le jeudi 20 juin 2024 de la sortie du rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat.

Intitulé Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population, ce rapport note en particulier que les aléas climatiques s’intensifient plus rapidement que les moyens mis en œuvre pour en limiter les impacts [0].

Illustration concrète de ce constat, cette actualité s'est trouvée bouleversée le lendemain, 21 juin 2024, par un drame survenu ce jour-là en Isère. Une grande partie du hameau de la Bérarde (commune de Saint-Christophe en Oisans) a été dévastée par le torrent des Étançons en crue. Les maisons ont été ensevelies sous de vastes coulées de matériaux, certaines jusqu’à disparaître totalement.

La promptitude et le professionnalisme du Peloton de Gendarmerie de haute montagne (PGHM), heureusement présent sur place, ont évité des victimes. Pour autant, la soudaineté et la violence de la submersion ont mis gravement en danger les habitants. Les médias ont rendu compte de leur sidération et du désarroi des responsables locaux cependant rapidement en quête de résilience.

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Catastrophes humaines : les prévenir, les anticiper, les soulager

Dans le contexte devenu celui des changements globaux, les crises qui affectent les territoires changent de physionomie. Marquées par la complexité, elles comportent souvent une très forte composante humaine. Les crises récentes, très différentes, le montrent. Qu’il s‘agisse de la contestation agricole, des crises multiples à Mayotte, ou encore des inondations dans le Pas-de-Calais, ces crises se font de la même façon l’écho de fortes situations de détresse humaine.

Alors que, par la force des choses, nous nous accommodons du nouveau format des crises, la question se pose avec acuité de notre capacité à prévenir les drames qu'elles recouvrent, à anticiper leur possible survenue et à les soulager dans une vision globale lorsqu’ils se produisent.

Cette capacité ne va pas de soi. En effet, elle nécessite de dépasser les approches sectorielles auxquelles nous sommes habitués, pour tenir compte d’effets systémiques. Ces effets sont souvent négligés alors qu’ils sont grandissants. Nous sommes par conséquent amenés à évoluer dans nos modes de pensée. Il nous faut affronter la complexité, marqueur de catastrophes contemporaines qui peuvent devenir de véritables « catastrophes humaines » (1).

Agriculture à Pollieu (AIN). Photo Bernard Guézo, Juillet 2023

La "catastrophe humaine"

En rapprochant ces deux termes de « catastrophe » et de « humain », nous souhaitons attirer l’attention sur les conséquences humaines majeures d'événements dommageables répétés ou de pressions cumulées démesurées. Ces conséquences prennent la forme d’effets potentiellement préjudiciables sur la santé, la vie familiale ou l’activité d’un grand nombre de nos concitoyens.

La notion de « catastrophe humaine » avancée ici se différencie de celle de « catastrophe humanitaire ». Cette dernière désigne une catastrophe qui menace la vie directe d’un très grand nombre de personnes. Mais, alors qu’intervenir dans les pays du sud pour éviter des catastrophes humanitaires mobilise des savoir-faire français et internationaux constitués de longue date, être en mesure de prévenir les conséquences purement humaines des catastrophes et des crises, en France et en Europe, ressort comme un véritable défi sociétal à relever pour les prochaines décennies.

Certes, les mesures de prévention et d’urgence en place dans nos pays ont pour plein objectif de limiter les dommages humains avant que matériels des désastres. Pour autant, la nature de ces mesures comme leurs portées sont loin de pouvoir endiguer tous les traumatismes produits par les événements ou situations dommageables (2).

C’est justement parce que nous disposons de précieux savoir-faire spécialisés qu’il nous faut apprendre à les assembler de façon transversale. Il faudrait également en mobiliser de nouveaux, qui peuvent être par ailleurs disponibles. Il s’agit de rechercher une capacité nouvelle de prévention des effets humains des catastrophes en tenant compte pour ce faire des franges les plus vulnérables de la population (3).

Nous illustrons notre propos en prenant appui sur les crises récentes précitées sans que notre objet soit d’analyser en propre celles-ci.

Les enjeux humains de la crise agricole

Le besoin de prévention des catastrophes humaines ressort en particulier de la crise agricole des premiers mois de l’année 2024. Longtemps latente, cette crise a pris la forme d’une révolte paysanne spontanée, déflagration collective produite par des souffrances contenues mais accumulées de longue date par les agriculteurs les plus fragiles.

Si cette crise sociale a ébranlé le niveau national, où s’établissent les lois et les règles, et secoué l’échelon européen, où s’élabore la politique agricole commune, elle a germé au sein même des territoires dont les agriculteurs sont une composante majeure. Elle est un exemple de catastrophe humaine qui s’est produite sans dire son nom.

Empêchés de vivre décemment de leur travail, entravés dans l’exercice de leur profession, pénalisés souvent par le changement climatique et parfois par les risques d’influenza aviaire, nombre d’agriculteurs et d’éleveurs se trouvent affectés dans leur vie, leur santé et l’exercice de leur métier. Conséquence ultime, les drames humains se sont multipliés.

De longue date les signaux sur la multiplication des situations de détresse individuelle n’ont pas manqué. L’écho des réalités de terrain nous est bien parvenu. Pourtant, celui-ci n’a pas enclenché une prise de conscience collective. Nous nous sommes accoutumés à ces situations documentées depuis des années.

Aucun dispositif d’écoute et d’alerte n’a été en mesure d’impulser par exemple une dynamique de remédiation à l’accumulation de règles et de normes qui ne s’harmonisent pas dans leur mise en œuvre à l’échelle de l’exploitation agricole. La dimension systémique des problématiques individuelles entre vie professionnelle, vie familiale et vie personnelle a même pu même favoriser l’inertie sociétale [2].

Pour Cynthia Fleury, « Tant que le fardeau du changement peut être assumé par un autre, l’individu aura tendance à déléguer sa responsabilité à autrui » [1]. Aussi, si chaque acteur concerné a pu agir dans son rôle sans nécessairement chercher à le dépasser, il a manqué un « activant collectif » suffisamment puissant pour vaincre les inerties sectorielles. Pour qu’un tel activant opère, il faudrait mobiliser des savoir-faire théoriques et pratiques qui permettent d’affronter collectivement les situations critiques et de s’organiser pour le faire. Ces savoir-faire sont aujourd’hui peu pratiqués.

Ainsi, dans une société devenue complexe, attentive aux risques qu’elle produit, le mal-être devrait être anticipé par une fonction « sentinelle » alertant en amont, comme en risques épidémiques [3], sur un danger encouru aux conséquences majeures possibles.

Si la révolte paysanne a joué ce rôle d’alerte, si la gestion de l’urgence a ouvert des possibles, les décisions prises dans la contraction du temps de la crise peuvent aussi faire courir le risque d’affaiblissement des démarches de transition engagées (4). Or ces démarches sont à promouvoir pour faire face aux défis vitaux qui s’imposent à tous en matière de gestion de l’eau, de l’air et de protection des sols. Les multiples initiatives prometteuses prises dans ce sens sont souvent éclipsées par la médiatisation de la crise.

Photo B. Guézo, Allier, mars 2024

Annoncée dans l’urgence de la crise sociale, la mesure gouvernementale de mise en place immédiate d’un dispositif d’aide aux agriculteurs les plus endettés a fait l’unanimité. En revanche, il restait à mener le chantier du réajustement des politiques publiques, des règles et des normes. Ce chantier est en cours tant au niveau national [5a] qu’au niveau européen [5b].

Un équilibre dynamique assurant tout à la fois des conditions dignes et viables aux agriculteurs, la sécurité alimentaire de la population et les enjeux de transition pourra-t-il-être trouvé ? La  mise en confiance des acteurs, une vision élargie des objectifs et l'intelligence collective seront-ils au rendez-vous pour ouvrir des perspectives d’avenir désirable sur tous ces sujets ?

Les enjeux humains de la crise mahoraise

Atypique et éloigné de beaucoup de préoccupations de nos compatriotes, le département ultra-marin de Mayotte nécessite pourtant une attention particulière au titre de notre capacité collective à relever les défis liés à un cumul de crises qui interagissent en induisant de forts impacts humains.

Ce département de l’Océan Indien cumule les vulnérabilités du fait de la pauvreté de la population (5), de sa densité démographique marquée par une immigration illégale, d’une insécurité grandissante et de la fragilité de son tissu insulaire.

Dans un contexte foncier très contraint, ce territoire est fortement exposé aux aléas naturels d’origines climatique ou terrestre (6). En 2018, la naissance tout à fait exceptionnelle d’un volcan sous-marin, nommé Fani Maoré, a jeté, des mois durant, le désarroi. Elle a provoqué une subsidence généralisée et généré une activité sismique inhabituelle. Mayotte a dû ensuite, comme ailleurs, affronter la pandémie de la COVID 19.

Plus récemment, en 2023, une sécheresse hors norme a fortement affecté les conditions de vie de la population. Elle a impliqué des importations d’eau (7) et imposé des très fortes restrictions à sa distribution. La pénurie a également fait surgir le spectre d’une crise sanitaire.

Mayotte. Octobre 2023.

Début 2024 la disponibilité de l’eau s’améliore suite à des précipitations soutenues. En revanche, l'insécurité grandissante déclenche l’édification de barrages plusieurs semaines durant par des collectifs citoyens.

La succession voire la conjonction des crises (volcan, immigration, COVID 19, restrictions d’eau, insécurité) génère des difficultés majeures pour la vie des habitants. Entravés dans l’exercice de leur métier, les enseignants, les entrepreneurs et les agriculteurs alertent sur l’avenir du territoire [5a, 5b].

Si des défaillances ont pu intervenir dans les mesures prises, par les uns ou par les autres dans leur champ de prérogatives, à Mayotte il aura manqué une fonction sentinelle. Une telle fonction d’alerte nécessite d’adopter une approche transversale et collective, attentive à anticiper les effets systémiques des crises avérées ou en germe. Elle permet d'enclencher des dynamiques vertueuses pendant qu'il est facile de le faire.

Les effets systémiques amplifient les dysfonctionnements au point d’affaiblir la portée de réponses sectorielles. En outre, cet engrenage défavorable fait passer au second plan les qualités intrinsèques d’un territoire a échelle humaine, attachant sous bien des aspects.

En l’absence de tels dispositifs transversaux, la prise de conscience opère au travers de crises successives. Celles-ci révèlent à chaque fois des fragilités pré-existantes du tissu communautaire et mettent en jeu une forte dimension humaine. Chaque crise génère de nouveaux possibles, mais elle privilégie par essence même des réponses fragmentaires alors qu’une réponse globale serait nécessaire associant toutes les parties prenantes.

Les enjeux humains des inondations du Pas-de-Calais

Des vagues pluvieuses se sont succédé sur le nord de la France depuis l’automne 2023. Elles ont submergé le département du Pas-de-Calais. Elles ont noyé ses parties basses dont les extrémités aval sont des étendues poldérisées. Les excès d’une pluviométrie répétée et concentrée sur une même période de l’année ont rompu des équilibres hydriques fragiles. Ils ont révélé, s’il était besoin, les vulnérabilités d’un territoire fortement exposé aux risques d’inondations.

Ces inondations ont peu mis en jeu la sécurité des personnes. Pour autant, les conséquences tant humaines que matérielles ont été majeures (8). Dans ce département aux conditions socio-économiques défavorables, huit résidences principales sur dix sont en effet des maisons individuelles (source INSEE). Celles édifiées de plain-pied sont particulièrement vulnérables. Indicateur du désastre, 313 communes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle, soit un peu plus d’un tiers des communes du département [6].

Les effets traumatiques subis par les habitants sont importants. Certains veulent partir alors qu’ils sont attachés à leur lieu de vie. Plusieurs mois durant, les événements les ont placés en première ligne. Ils ont été confrontés à l’angoisse des alertes météorologiques, des débordements et des ruptures des digues. L’eau a envahi les rues, les places et les maisons une première fois, une deuxième, une troisième...

Certes, la solidarité a joué. Les élus communaux comme les techniciens ont donné d’eux-mêmes sans compter. Les services publics et les associations ont mis en place des cellules d’aide à la population, aux entreprises. La Préfecture a coordonné l’ensemble des dispositifs par un guichet unique. Mais rien n’aura pu empêcher les face-à-face successifs avec l’eau. Or ceux-ci ont des effets majeurs sur la santé. Les séquelles psycho-somatiques sont accentuées pour les personnes les plus modestes.

La dimension humaine du drame imposerait donc de considérer les vulnérabilités dans leur ensemble. Il s'agit également de revisiter en vérité la relation future du territoire à l’eau dans le contexte du changement climatique qui accentue les risques hydrologiques. le défi est de permettre aux sinistrés de retrouver la confiance en l’avenir.

Dans le Pas-de-Calais, les sinistrés se constituent en associations, les associations du haut estuaire de la Canche se structurent en collectif. Une dynamique de résilience va-t-elle gagner l’ensemble des acteurs concernés ou chacun va-t-il se cantonner dans son rôle ?

Prévenir les conséquences humaines des catastrophes, les anticiper et les soulager

Vécues en local comme dans une tension au global, les crises évoquées vont-elles produire des élans refondateurs ? Vont-elles conduire à la mise en place de réponses globales attentives au bien-être humain ?

Au-delà des situations particulières, ces crises invitent à une plus grande prise en compte des enjeux humains liés aux catastrophes.

Pour ce faire, il nous faudrait d’abord lever des freins culturels. Ceux-ci ressortent de notre difficulté première à dépasser le jeu des acteurs pour agir collectivement et pour intégrer davantage en amont les acteurs de proximité. Ceux-ci sont attentifs à la dimension humaine des crises par leur connaissance fine du terrain.

Ces freins ressortent aussi de notre propension cartésienne à considérer les seuls dommages humains quantifiables et quantifiés : nombre de victimes, nombre de blessés. Ces indicateurs sont importants mais ne suffisent pas. Il faudrait élargir cette vision comptable en adoptant d’autres indicateurs plus qualitatifs.

Les freins culturels sont encore dans la croyance toujours vivace en notre capacité à maîtriser les risques et les crises par des seules mesures techniques. La complexité des crises contemporaines met à mal cette idée.

Le fait est que les crises se révèlent plus difficiles à anticiper que par le passé. Les changements globaux génèrent des situations critiques inédites, susceptibles d’affecter d'abord les populations les plus vulnérables. La pandémie de la COVID 19 comme la guerre en Ukraine ont ainsi montré des fragilités sociétales, par exemple en matière de sécurité sanitaire ou de sécurité alimentaire.

Lorsque des limites sont franchies, que des seuils de rupture sont atteints, le dénominateur commun des catastrophes, diverses dans leur nature, est alors humain. Des effets non maîtrisés peuvent s’enchaîner et affecter en profondeur les vies personnelles, familiales et professionnelles.

Prévenir les conséquences humaines des catastrophes, les anticiper et les soulager requiert des nouveaux savoir-faire et des pratiques spécifiques. Des accompagnements scientifiques et professionnels semblent nécessaires pour aborder les composantes géographiques, sociologiques et humaines d’une réalité complexe. Il s’agit également d’associer les citoyens aux diagnostics à poser, aux perspectives à affronter. Les réponses à apporter sont rarement évidentes et totalement satisfaisantes.

Cette approche exigeante implique par conséquent de nouvelles façons de penser et d’agir. Elle nécessite aussi d’affirmer l’importance des acteurs de proximité : municipalités, associations, accompagnements sociaux, médicaux et psychologiques… Des réflexions et travaux sont menés en ce sens par l’association française de prévention des catastrophes naturelles et technologiques (@AFPCNT) et ses associations et organismes partenaires [7].

Dans la gestion des catastrophes, ne faudrait-il pas passer d’un système binaire : « prévention, gestion de crise » à un système ternaire : « prévention, gestion de crise et résilience » ? Cette dernière composante aurait vocation à reconnaître les acteurs précités de la proximité, comme garant à part entière de la prise en compte des enjeux humains.

L’attention à l’humain devrait devenir une ligne directrice à part entière de la prévention des catastrophes en France et en Europe. C’est au prix d’une humilité collective à instaurer face aux défis à relever à ce titre qu’un changement de paradigme pourra intervenir ouvrant sur des réponses à apporter, nouvelles et partagées, tout à la fois techniques et sensibles.

Notes de texte

(1) L’expression « catastrophe humaine » a été utilisée par Cynthia Fleury dans son livre « La clinique de la dignité ». Elle a retenu mon attention.

(2) La gestion de la COVID 19 dans les EPHAD a révélé comment des mesures fonctionnelles théoriquement justifiées pouvaient se révéler inhumaines dans une mise en œuvre systématique, ignorante des liens familiaux à maintenir dans certaines situations extrêmes.

(3) Les personnes engagées dans des associations de victimes de catastrophes témoignent de la nécessité de davantage considérer les catastrophes dans leur dimension sensible et vécue. Ainsi, dans son livre « Dans leur nuit » (éd. Du Seuil 2021), Perrine Lamy-Quique établit un récit du long combat des familles de victimes de la catastrophe du Plateau d’Assy survenue en 1970 pour obtenir au moins l’édification d’une stèle digne de ce nom pour en faire mémoire.

(4) Longtemps débattu avant d’être adoptée par une large majorité à l’assemblée nationale, la loi du 13 octobre 2014 pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a produit des avancées en matière environnementale et sociale. Elle promeut notamment l’agro-écologie.

(5) Selon l’INSEE (octobre 2023), pour une population mahoraise estimée à 310 000 personnes, 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national,

(6) Les aléas naturels à Mayotte sont les cyclones, les inondations, le volcanisme, l’activité sismique, les glissements de terrain et l’érosion du sol.

(7) Plus de 35 millions de m³ d’eau auraient été acheminés par bateaux.

(8) Après toute catastrophe, les experts des assurances évaluent les pertes et les dommages, les techniciens des collectivités publiques estiment le coût de reconstruction des infrastructures. Mais ici, la crise hydrologique qui rebondit et perdure complique l’établissement de ces bilans quantitatifs. Pour les Hauts-de-France, le coût pour le marché de l’assurance était estimé fin janvier 2024 à 640 M€, soit, par rapport au bilan effectué en novembre 2023, une augmentation de 75 M€ au titre de l’aggravation des sinistres initiaux et de 15 M€ au titre de nouveaux sinistres (source CCR). 

Éléments de référence bibliographique

[1] Cynthia Fleury, La clinique de la dignité, Paris, éd. Seuil, 2023, 213 p.

[2] Sylvie Célérier, La belle vie désespérée des agriculteurs ou les limites de la mesure des risques psychosociaux liés au travail, études rurales, 2014, pp. 25-44

https://doi.org/10.4000/etudesrurales.9998

[3] Frédéric Keck, Les sentinelles des pandémies, Paris, éd. Points, 202, 327 p.

[4a] Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

https://agriculture.gouv.fr/suivi-des-mesures-en-faveur-des-agriculteurs

[4b] Le Monde, Agriculture : une réforme express de la PAC qui « détricote les acquis environnementaux », 15 mars 2024

https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/03/15/agriculture-une-reforme-express-de-la-pac-qui-detricote-les-acquis-environnementaux_6222269_3244.html

[5a] Courrier intersyndical patronal du MDEF Mayotte et du CPME Mayotte, du 10 février 2024, adressé à Mr le Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin et à Mme la Ministre déléguée chargée des Outre-mer Marie Guévenoux

Le Monde, Mayotte au bord de l’effondrement économique, 21 février 2024

https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/21/a-mayotte-le-cri-d-alarme-des-patrons-nous-n-allons-pas-nous-en-sortir_6217689_823448.html

[5b] Lettre ouverte du 11 février 2024 de la Fédération Syndicale Unitaire au 1er Ministre et à la Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse

https://fsu.fr/lettre-ouverte-au-gouvernement-mayotte-ne-peut-plus-attendre/

[6] Préfecture du Pas-de-Calais, Dossier inondations

https://www.pas-de-calais.gouv.fr/Actualites/Actualites/Gestion-des-consequences-des-inondations-et-reconstruction/Inondations-Reconnaissances-de-l-etat-de-catastrophe-naturelle

[7] Association française de prévention des catastrophes naturelles et technologiques

https://afpcnt.org/events/les-rendez-vous-du-conseil-scientifique/

Photographies de l'article : Bernard Guézo


Dynamique climatique : quelles figures de la résilience ?

Partie prenante de différents événements extrêmes, la dynamique climatique aura fortement marqué l’année 2023 dans le monde. En contraste, la communauté internationale peine à agir avec empressement pour atténuer les émissions et contrer les évolutions en cours.

Peu armées pour établir des cadres ambitieux voire contraignants, les Conférences des Parties, dont la dernière s'est tenue à Dubaï en fin d'année (COP 28), ont cependant la vertu de coconstruire des objectifs collectifs. Ceux-ci portent tout à la fois sur la réduction des émissions mondiales, l’aide à l’adaptation des pays du sud ou encore le dédommagement des pays les plus affectés par le changement climatique.

L’accord final négocié entre les États lors de la COP 28 a ainsi permis d’afficher le 13 décembre 2023, pour la première fois, une « réduction de la consommation et de la production des énergies fossiles ». Timide dans sa formulation, cet horizon devra être objectivé afin que puissent être pleinement mobilisés à l’échelle planétaire les outils visant à s’extraire de la dépendance aux énergies carbonées : financements, réglementations, pratiques sociétales.

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Par-delà la météo estivale : comment activer la résilience au changement climatique ?

Jamais l’humanité n’a réuni autant de puissance à tant de désarroi, tant de soucis et tant de jouets, tant de connaissances et tant d’incertitudes. L’inquiétude et la futilité se partagent nos jours.
Paul Valéry, 1932

Dans un contexte marqué par le changement climatique, la météo est devenue, en France du moins, l’information que l’on suit avec une certaine anxiété chaque été.

En effet, chaque année toujours plus, les vigilances « canicules », « tempêtes » - ou « feux de forêts » maintenant - nous alertent sur des risques climatiques. Elles relèguent alors au second plan la « météo des plages » qui donne pourtant, chaque jour, les conditions de confort thermique de l’air et de l’eau sur chaque once du littoral où l’on peut poser sa serviette. Mais alors, peut-on toujours la poser en toute quiétude et qu'en sera-t-il dans quelques années ?

Si les perturbations météorologiques ont toujours existé, sans être autant médiatisées, le changement climatique complexifie la situation, au moins par la place croissante prise par les vagues de chaleur et les canicules.

Jusqu’à un passé récent, l’été était propice à la vie insouciante en plein air. Vers le quinze août, les orages venaient, de façon rituelle et fort à propos, annoncer sa fin prochaine. Aujourd’hui, de brusques variations météorologiques peuvent bousculer ces références qui nous étaient familières.

Alors que les rapports se succèdent pour susciter la résilience au changement climatique, à quel moment et de quelle façon celle-ci peut-elle intervenir, pour rendre de nouveau désirable cette période de l’année ? La question vient après un été 2023 particulièrement marqué, dans certaines régions de France, par des vigilances météorologiques à répétition.

 

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La résilience du territoire a-t-elle à voir avec ses fragilités ?

La résilience du territoire a-t-elle à voir avec ses fragilités ? Art traditionnel japonais, le « Kintsugi » conduit à se poser la question.

Métaphore de la résilience, cet art ancestral consiste en effet à réparer une porcelaine ou une céramique cassée en soulignant ses fractures par de la poudre d'or, au lieu de chercher à les masquer [1].

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COP 2022 : quel écho dans les territoires ?

Alors qu’elles traitent de la disparition du vivant, les COP biodiversité attirent bien moins l’attention que les COP climatiques.

Pourtant, pour le Secrétaire général des Nations-Unies, « l'action climatique et la protection de la biodiversité sont les deux faces d'une même médaille ». C’est ce que déclarait Antonio Gutterez à l’ouverture de la 15ème Conférence des Parties de la Convention sur la Diversité Biologique (CDC), à Montréal le 7 décembre 2022 (1).

En 1992, la conférence de Rio avait reconnu la biodiversité comme essentielle pour la satisfaction des besoins alimentaires, sanitaires et autres de la population planétaire (2).

30 ans après, la COP 15 a donné lieu, le 19 décembre 2022, à un accord historique, adopté par 196 États.

Dénommé « Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal » [1], cet accord prévoit de préserver la biodiversité en protégeant 30 % de la planète d’ici 2030.

Monts-du-Lyonnais le 27 décembre 2022

Plus discrète que la COP 27 de novembre sur le climat, la COP 15 de décembre sur la biodiversité a donné finalement bien davantage de résultats. Tenue à Charm El Cheick en Égypte, la COP 27 avait mis l’accent sur la nécessité d’accentuer la solidarité envers les Pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Le principal engagement obtenu fut en fait celui de la création d’un fonds international de solidarité.

Changement climatique et effondrement de la biodiversité combinent leurs effets. Ils font peser ensemble des menaces majeures sur les écosystèmes, les diversités spécifique et génétique. Ils mettent également en jeu l’habitabilité de la planète, la sécurité alimentaire et la santé des populations, particulièrement les plus vulnérables.

Réserve de pêche anéantie par la sècheresse, Talissieu (Ain). Juillet 2022

La résilience éclipse le développement durable

A la globalisation financière et technologique succèdent aujourd’hui les changements globaux (3). Attisés par l’activité humaine, interagissant entre eux, ces changements accentuent des événements extrêmes et altèrent les milieux dans ce qu’ils ont « d’humain, d’écologique et de physique » [2].

Les technologies les plus performantes sont impuissantes à enrayer ces processus de grande ampleur qui mettent pourtant en jeu le vivant. Tout au plus, ces moyens modernes peuvent-ils retarder une évolution inéluctable ou contrer un événement catastrophique, mais sans pouvoir entraver par eux-mêmes leur cinétique de fond.

Dès lors que les changements globaux posent des questions de viabilité, de vivabilité et d’équité pour l’Humanité dans son ensemble, c’est l’idée même d’un développement humain durable qui est réinterrogée, tel qu’il était encore espéré lors du 4ème Sommet de la Terre à Johannesburg, en septembre 2002, il y a maintenant 20 ans.

Le triptyque du développement durable

La phrase du président Chirac prononcée à cette occasion « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » a pris depuis une dimension prophétique. Le développement durable cède la place maintenant à « l’Âge de la résilience » [3].

La résilience renvoie à la prévention des catastrophes

Parce qu’elle évoque le choc, la résilience renvoie à la notion de catastrophe dont une définition est donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir « une rupture grave du fonctionnement d'une communauté ou d'une société impliquant d'importants impacts et pertes humaines, matérielles, économiques ou environnementales, que la communauté ou la société affectée ne peut surmonter avec ses seules ressources ». La catastrophe prend communément la forme d’un « choc » destructeur, brutal, momentané et localisé.

À l’échelle de temps de la vie terrestre, la rupture introduite par les changements globaux peut être considérée comme quasi-instantanée. Cependant, elle ne l’est pas à celle de l’individu, la notre. Elle se déploie au fil des années, d’où la possibilité qui nous est offerte d’enrayer son développement. En outre, elle n’affecte pas tous les territoires en même temps et de la même façon. Ceci permet de mobiliser, en faveur des plus vulnérables, des ressources qui leur sont externes.

C’est bien au niveau des territoires et dans ce délai disponible que la résilience est attendue. La résilience vise à mobiliser l’énergie de ceux qui veulent changer le cours des choses dans le temps imparti pour le faire, selon le principe du catastrophisme éclairé défendu par Jean-Pierre Dupuy [4].

La catastrophe ouvre sur le "Mieux construire"

Alors qu’il était en 2006 chargé de mission pour l’ONU, l’ancien président des États-Unis, William Clinton, introduisit la notion du « Build Back Better ».

En réponse au tsunami d’Asie, qui avait ravagé en décembre 2004 les côtes indonésiennes au nord de Sumatra, il formula alors dix propositions pour mieux « construire » en anticipation d’une catastrophe. Beaucoup de ces propositions impliquaient les États et les organisations internationales.

La première dans la liste établissait cependant la nécessaire reconnaissance de la capacité des familles et des communautés à conduire leur propre « reconstruction ». La résilience était ainsi implicitement identifiée comme devant être première pour faire face à une catastrophe. Elle était rendue explicite dans la dixième proposition.

Extrait du rapport des Nations Unies de décembre 2006 [5].
Ce principe de résilience s’applique aux territoires exposés aux changements globaux. Cela soulève de nombreuses questions.

En effet, les communautés locales sont invitées à agir, mais sont-elles sensibles aux défis à relever ? Se sentent-elles investies d’une responsabilité de régénération de leur milieu de vie ? La vie associative est-elle en mesure de devenir le ferment de démarches de résilience différenciées selon les territoires ?

En France, la sécheresse de l’été 2022 a fait naître de fortes tensions sur l’usage de l’eau. Elle a mis à jour des fragilités territoriales et révélé des vulnérabilités sociales. Pour autant, les acteurs d’un territoire sont-ils prêts à se réunir en « COP locale de l’eau » comme le suggère très justement Manon Loisel [6] ?

Enfin, pour les professionnels, comment déployer une ingénierie du temps compté, selon l‘expression employée par l’urbaniste François Ascher (4) ? Une ingénierie qui soit en mesure de répondre aux défis des changements globaux.

Le sol, matrice du vivant

Dès lors que l’on se préoccupe du vivant, la question des sols devient centrale.

Le sol est en effet la matrice du vivant : « En remaniement continu, il n’est pas vivant en lui-même, à strictement parler, mais il contient la vie » [7]. Les sols représentent entre 50 et 70 % de la biomasse vivante des écosystèmes terrestres. Ils supportent le développement des arbres et des végétaux. Ils sont à la base de l’alimentation et procurent les antibiotiques dont nous avons besoin.

Marais de Lavours face au Grand Colombier (Ain)

Il y a bien longtemps, les sols ont rafraîchi le climat de la planète en captant du CO2. Aujourd'hui, ils peuvent, selon leur exploitation, dégager ou stocker des gaz à effets de serre. Les sols sont encore en relation avec l’eau dans tous ses états : liquide, gelé ou gazeux. La sécheresse des sols traduit le manque cruel d'eau.

La reconnaissance des sols comme patrimoine et comme écosystème majeur connecté aux autres écosystèmes est très récente. Sur le plan scientifique, elle date des années 90. Depuis 2014, le 5 décembre de chaque année est la journée internationale des sols. En France, la politique du zéro artificialisation net (ZAN) ambitionne de protéger les sols de l’urbanisation.

L’agriculture : un secteur d'activité placé en position critique

Au niveau des territoires, l’agriculture traduit particulièrement l’enjeu de la revitalisation des sols. Comme le préconise Jérémy Rifkin, il s’agirait en fait de passer d’une logique de production, échappant à la gestion locale alors qu’elle affecte le sol et l’eau, à une logique de création de richesses par la préservation et la régénération des ressources locales [3].

Les initiatives dans ce sens sont multiples : agriculture diversifiée de proximité, plantations de haies, permaculture, agroforesterie. Pour autant, elles restent souvent esseulées. Peut-on changer d’échelle ? L’agriculteur peut-il devenir le jardinier de la terre, celui qui donne sa place au vivant [8] ?

Agriculture périurbaine, Métropole de Lyon

De nombreux territoires se préoccupent du devenir de l'agriculture. Celle-ci est en effet confrontée à des injonctions paradoxales : interdiction d'intrants chimiques versus compétitivité économique, maintien des exploitations versus crise des vocations, exigence croissante des consommateurs versus changement climatique.

Ces territoires se dotent de projets alimentaires territoriaux (PAT) (5). L’agriculture est également entrée dans la planification de l’aménagement comme une activité vitale pour le devenir des territoires. Cela suffira-t-il à changer de paradigme ?

Manifestation d'agriculteurs à Lyon le 25 mars 2021

Le géographe Yves Poinsot pointe un paradoxe : « Les systèmes agricoles sont tenus de livrer une alimentation continue aux sociétés alors que la saisonnalité climatique introduit un caractère discontinu dans la temporalité des processus productifs de l’amont » [9]. Le défi pour la profession agricole est par conséquent de devoir renouer avec des fonctionnements cycliques dans un système de production dont la référence reste la productivité. Il est aussi de retrouver des régulations naturelles dans des espaces qui se sont urbanisés.

Son adaptation implique une mobilisation collective en faveur de modèles économiques qui tiennent davantage compte du cycle de la nature : saisonnalité, intempéries.

Repenser les temporalités, les dépendances et la valeur des choses

Renouer avec le vivant dans un monde perturbé par les changements globaux implique de redécouvrir les rythmes biophysiques.

Il ne s’agit pas de revenir au passé ! Les alternances jour-nuit comme les saisons imposaient des interruptions dans les activités. Les aléas météorologiques pouvaient anéantir les récoltes. La variabilité du régime hydrologique des fleuves et rivières perturbait l’approvisionnement des grandes villes. C’était le cas pour Lyon alimenté par les transports sur le Rhône et la Saône. Les villages de montagne restaient isolés pendant les longs mois d’hiver.

Les crises des derniers mois nous invitent cependant à repenser les temporalités, les dépendances, la valeur des choses.

Des régulations se mettent déjà en place à différents niveaux : recours aux énergies renouvelables, limitation raisonnée de l’éclairage public la nuit, promotion des produits agricoles saisonniers, chauffage sélectif des pièces d’une maison en fonction de leur occupation, etc.

La résilience implique une appropriation des enjeux par la population et les acteurs locaux. Elle implique ensuite leur engagement dans des projets porteurs de sens à l’échelle de la proximité. Ce fut le cas de la commune nouvelle de Le Méné dans les Côtes d’Armor. Les forces vives qui se déployèrent en son sein, à partir des années 2000, dessinèrent un devenir désirable au territoire. Elles insufflèrent une dynamique collective sur le sujet des énergies renouvelables [10].

Vers une gestion dynamique des territoires

C'est au niveau local que les effets des changements globaux sont palpables. C’est à ce niveau qu’il devrait être possible de dénouer des processus anthropiques et naturels de grande échelle, intriqués entre eux. Ceci suppose de libérer les énergies et de mobiliser l’intelligence collective.

La résilience pose la question des dispositifs de gestion qui pourraient demain utilement compléter les outils de la planification. La planification de l’aménagement est performante mais elle est statique. Les plans de sauvegarde, les plans de continuité d’activité sont opérationnels mais activés en période de crise seulement. Comment relier entre eux ces outils différenciés dans une dynamique d'ensemble ?

Une gestion des territoires, collective et rythmée par les changements en cours, est à inventer. Une gestion dynamique qui soit attentive à la préservation et à la régénération du vivant.

Ce monitorage [11] devrait assurer une triple fonction de compréhension partagée de la façon dont le territoire et les organisations se transforment, de veille collective sur les perturbations et d’incitation à l’adaptation permanente pour réduire la vulnérabilité et accroître la résilience.

Un vaste chantier de réflexion pour 2023.

Notes

(1) Cette conférence s’est en fait tenue en deux temps, d’abord du 11 au 15 octobre 2021 de façon virtuelle et pour partie en présentiel à Kunming en Chine, puis du 7 au 19 décembre 2022 à Montréal au Canada.

(2) 168 pays ont signé la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) adoptée à Rio en 1992. En signant ce traité, ils se sont engagés à la conservation de la biodiversité, à l’utilisation durable de ses éléments et au partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques.

(3) Par changements globaux, nous entendons des changements mesurables à l’échelle planétaire dont les effets dommageables sont perceptibles localement. Les changements globaux recouvrent le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et aussi la croissance démographique, l’urbanisation généralisée et encore la mobilité généralisée.

(4) François Ascher, Grand prix de l’urbanisme, est décédé en 2009.

(5) Les Projets alimentaires territoriaux (PAT) ont été introduits par l’article 39 de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAF) adoptée le 11 septembre 2014. Ils ont pour objectif de relocaliser l'agriculture et l'alimentation dans les territoires en soutenant l'installation d'agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines. Ils sont élaborés de manière collective à l’initiative des acteurs d'un territoire (collectivités, entreprises agricoles et agroalimentaires, artisans, citoyens etc.). https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-quun-projet-alimentaire-territorial.

Références bibliographiques

[1] Nations-Unies, Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, décembre 2022

[2] Augustin Berque, Écoumène, Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 1987 (2016), 447 p.

[3] Jérémy Rifkin, L’Âge de la résilience, Paris, Ed. Les liens qui libèrent, 2022, 361 p.

[4] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Ed. Seuil, coll. Points, 2002, 215 p.

[5] Nations Unies, Lessons learned from tsunami recovery, Key Propositions for Building Back Better, A Report by the United Nations Secretary-General’s Special Envoy for Tsunami Recovery, William J. Clinton, décembre 2006

[6] Manon Loisel, Verra-t-on des gilets jaunes de l’eau ? Alternatives économiques, 16 décembre 2022

https://www.alternatives-economiques.fr/manon-loisel/verra-t-on-gilets-jaunes-de-leau/00105444

[7] Marc-André Selosse, L’origine du monde, une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent, Actes Sud, Arles, 2021, 468 p.

[8] Gilles Clément et Sébastien Thiéry, Partout favoriser la vie, dans CRITIQUE, Revue générale des publications françaises et étrangères, Vivre dans un monde abîmé, Paris, 2019, 190 p. pp. 56-69

[9] Yves Poinsot, La renaturation des systèmes agricoles à la lumière de l’opposition continu / discontinu dans Continu et discontinu dans l’espace géographique, ouvrage collectif, Presses Universitaires François Rabelais, 2008, 442 p. pp. 263-277.

[10] La commune Le Mené

https://www.mene.fr

[11] Bernard Guézo, Continuité d’activités : de la planification au monitorage, IMDR, Les Entretiens du risque 2021,

https://hal.univ-reunion.fr/CRC-PARISTECH/hal-03435429v1

Crédit photographique :

Bernard Guézo