COVID-19 : La résilience, composante active de la gestion des territoires

Dans la tempête sanitaire du COVID-19, la force du chêne et la souplesse du roseau étaient toutes deux nécessaires. La résilience a joué un rôle essentiel aux côtés de la gestion institutionnelle de la crise. Relever maintenant les défis du relèvement post-crise nécessite de considérer la façon dont les risques se sont transformés dans le contexte des changements globaux. Ils sont devenus un opérateur à part entière des villes et des territoires avec lequel les acteurs doivent maintenant composer. Anticiper les crises, comme celle du COVID-19, c’est assurer une veille collective sur les chocs et les perturbations de différentes natures (sécheresse, catastrophe naturelle, épisode de pollution, épidémie…) pouvant affecter le fonctionnement des territoires pour en limiter les effets. La résilience devient une composante active de la gestion des territoires.

 

Mer agitée à La Seyne-sur-Mer. Photographie Bernard Guézo le 6 mars 2013.

Le COVID-19 consacre les apports de la résilience

Par la force des choses, les sociétés anciennes prenaient leur parti des calamités auxquelles elles étaient régulièrement exposées. Elles transformaient leur expérience de l’adversité en savoir-faire résilients. Par exemple, elles avaient appris à subsister en année de disette. En même temps, les anciens ne savaient pas affronter les aléas majeurs qu’ils concevaient comme des châtiments divins.

Tout en luttant contre les catastrophes, les sociétés modernes se sont appliquées à s’affranchir des contingences liées à leur environnement. En s’urbanisant, elles se sont protégées le plus possible des chocs, des irrégularités et des manques de tous ordres. Se démarquant des pratiques vernaculaires, elles sont souvent parvenues à vivre de la même façon en tous lieux, par tous les temps, en toute saison, de jour comme de nuit. Défendu par Vauban à l’origine, le principe mis en œuvre pour obtenir ce résultat est simple : sécuriser un territoire favorise la production de richesses, laquelle permet de financer de nouveaux dispositifs de protection. Sans cesse sophistiquée au fil du temps, cette boucle vertueuse semblait inaltérable.

En France, ces dernières décennies, les territoires ont cependant dû affronter des problèmes que les régulations fonctionnelles n’ont pu résoudre. Des fragilités territoriales se sont fait jour, portant sur l’accessibilité au logement, la fluidité de l’emploi, le maintien des services à la population, la mobilité ou encore les relations au milieu naturel. Opérant comme une calamité, la crise sanitaire du COVID-19 a éclairé sous un jour nouveau la carte des fragilités. Face à la complexité de la situation créée par la pandémie, le modèle de la protection a révélé ses limites. D’où l’engouement pour la résilience, comme nécessité vitale de réapprendre les aptitudes de nos ancêtres à composer avec l’adversité.

Si les fragilités fonctionnelles n’ont pas suffi à convaincre de l’importance de la résilience, l’intensification croissante des catastrophes ces dernières décennies aurait pu agir comme un autre signal des limites du modèle de la protection. Dans un contexte d’accélération des changements, les risques ont eux-mêmes changé d’échelle, posant toujours plus le défi de leur maîtrise. Certains événements ont marqué plus que d’autres. En 1985, la couche d’ozone protectrice des rayonnements ultra-violets est menacée. En 1986, le nuage radioactif de Tchernobyl se déplace au dessus de l’Europe. En 1995, la maladie dite de la vache folle propage ses effets sanitaires et aussi socio-économiques au sein des pays européens. En 2003, une canicule d’ampleur inhabituelle affecte l’Europe. Par la suite, les catastrophes naturelles et les épisodes de pollution atmosphérique se sont révélés plus sévères.

En 2020, le COVID-19 marque un tournant sociétal : la vie des territoires est bousculée durablement par une crise mondiale soudaine à ramifications multiples. En France, si la crise sanitaire a pu être jugulée, la complexité de sa gestion comme l’acuité de ses effets économiques et sociaux soulèvent de nombreuses questions déjà largement débattues et analysées. Sans être exhaustif, on peut citer : la façon de composer avec l’adversité mais aussi la robustesse des services essentiels (santé, alimentation, éducation), la capacité de résilience des organisations, les fragilités économiques et sociales, les modes d’urbanisation (formes urbaines, densité, mobilité, logement).

Dans la tempête sanitaire, les qualités du « chêne » étaient nécessaires. Il s’agissait d’organiser une réponse d’ensemble dans un contexte marqué par l’absence d’anticipation, l’incertitude et les injonctions contraires. Celles du roseau l’étaient tout autant. La crise a révélé l’importance des acteurs du quotidien et l’utilité des réseaux numériques. Les initiatives solidaires se sont multipliées en particulier dans le secteur de la santé où des vies étaient en jeu. Des capacités d’innovation se sont libérées comme par exemple l’aménagement temporaire des espaces urbains. La résilience a eu ses « héros ordinaires ».

Lyon, mars 2020. Vidéo d’hommage aux soignants et à tous ceux qui ont œuvré pendant le confinement.

Le relèvement au prisme des changements globaux

Si l’urgence sanitaire est pour beaucoup révolue, la résilience reste requise. Les dommages occasionnés par le COVID-19 appellent des démarches de reconstruction intégrant des impératifs de réduction de la vulnérabilité suivant le principe dit du « Build Back Better » [a]. Or, le risque est grand que les défis à relever – sanitaires, économiques et sociaux – soient dissociés alors qu’ils sont intimement liés et inscrits de la même façon dans les changements globaux en cours. Pour comprendre la particularité de ces changements et la place qu’ils tiennent dans le devenir des territoires, il est utile d’établir un récit de la dynamique d’urbanisation sous l’angle spécifique de la production de catastrophes comme révélatrice du nouvel environnement avec lequel il faut composer.

Considérons d’abord la période 1950-1980. Confrontée aux besoins de logement, la France s’urbanise. Des grands ensembles d’immeubles collectifs sont déployés en périphérie des agglomérations. Les industries sont déconcentrées de la région parisienne vers la province. Les extérieurs des bourgs et des villages se bâtissent. Des constructions colonisent les espaces naturels et agricoles. Cette dynamique collective d’une production urbaine « hors la ville », selon l’expression de l’urbaniste David Mangin, secrète bien évidemment des risques collectifs. L’insécurité routière endeuille les villages et les villes. Les grands ensembles posent rapidement la question de leur démesure. Les grandes infrastructures et l’industrie civile génèrent de premières tragédies : rupture du barrage de Malpasset en 1959, incendie de la raffinerie de Feyzin en 1966. En 1970, les deux avalanches meurtrières de Val d’Isère et du Plateau d’Assy, dans les Alpes, conduisent à corréler urbanisation des territoires et catastrophes naturelles. Limitant les catastrophes et leurs effets, les réponses apportées en matière de prévention laissent croire à une possible maîtrise alors que les politiques de prévention des désastres connaîtront de nombreuses limites (Pigeon et Rebotier, 2017).

Or, la période 1980-2010 devient celle de la globalisation économique. De nationale, la dynamique d’urbanisation devient internationale. Les métropoles régionales dotées d’une infrastructure aéroportuaire s’affirment comme lieux d’articulation des échelles globale et locales. Ainsi, Toulouse devient au début des années 2000 un centre mondial de la construction aéronautique. Issus de la décentralisation politique, les territoires se différencient entre ceux qui émargent à la compétitivité économique, dans l’influence des grandes agglomérations, et d’autres qui cumulent les difficultés. Pour traduire ce changement d’échelle dans l’urbanisation et traduire son inscription dans les territoires, l’urbaniste François Ascher invente en 1995 le concept de métapole. Hétérogène, l’espace métapolitain agrège des secteurs d’habitat, des zones d’activité, des infrastructures de transport, des milieux physiques, des espaces agricoles. L’époque devient celle des délocalisations industrielles et de la massification des productions et des échanges.

En France, du Grand-Bornand (1987) à La Faute-sur-Mer (2010), les catastrophes éprouvent les extensions urbaines des décennies précédentes. Elles affectent en 1999 les réseaux de transport (accident du tunnel du Mont-Blanc) et les réseaux d’énergie (tempêtes Martin et Lothar). A l’étranger, des catastrophes au retentissement mondial sont corrélées à la globalisation de l’économie. A 30 ans d’intervalle, l’accident industriel de Bhopal (1984) et l’ouragan Katrina (2005) révèlent de la même façon la vulnérabilité des populations pauvres aux carences de sécurité de certaines installations industrielles et d’équipements d’infrastructure.

Alors que l’économie globale est affectée par la crise financière de 2008, une autre dynamique s’impose, celle des changements globaux. Par « changements globaux », nous entendons ici les changements mesurables à l’échelle planétaire, dont les effets sont perceptibles aux échelles locales et dans notre vie quotidienne. Sont concernés, le climat, la biodiversité, la démographie planétaire, et aussi l’urbanisation généralisée. Activatrices de ces changements : les activités anthropiques dont les résultantes perturbent maintenant de différentes façons les équilibres naturels et humains.

L’urbanisation devient un phénomène global [b]. Pour le géographe Michel Lussault, l’exposition universelle de Shanghai de 2010 constitue « le premier événement populaire global marquant lavènement du nouveau Monde urbain ». Les territoires donnent naissance à des hyper-lieux remarquables par leur criticité, c’est-à-dire leur propension à amplifier des perturbations ; et à de l’hyper-ruralité, c’est-à-dire à des espaces voués à l’abandon démographique. Lorsqu’ils sont urbanisés, les littoraux sont des espaces particulièrement sensibles aux effets du changement climatique. Selon l’Argus de l’assurance, le tsunami au Japon en 2011, les ouragans Sandy en 2012 et Irma en 2017 sont les catastrophes les plus coûteuses des dix dernières années.

Pour l’Organisation Météorologique Mondiale, l’été 2018 est l’un des plus chauds et secs en Europe du Nord. Des catastrophes climatiques majeures ont marqué 2019 tandis que 2020 a débuté par les incendies catastrophiques en Australie. La France figure parmi les pays européens les plus touchés par les événements climatiques sur les vingt dernières années. Elle souffre autant que Madagascar, l’Inde, le Bangladesh ou encore la Thaïlande (Germanwatch, 2020).

Les catastrophes se succédant, l’inquiétude gagne les opinions publiques. Lors du Forum international de Davos en janvier 2020, les dirigeants économiques du monde identifient les désordres climatiques comme étant les principaux risques à venir. A cette occasion, le Prince Charles, dont l’engagement en faveur de la nature et de l’environnement est sans faille, a délivré un message d’urgence : « urgence des changements systémiques, de la coopération et de l’intégration ». Une prise de conscience est ainsi appelée à gagner progressivement le monde économique : les catastrophes ne sont plus un épiphénomène de l’économie mondiale mais des événements incontournables avec lesquels il va falloir compter.

C’est dans ce contexte sensible qu’il faut inscrire le relèvement de la crise du COVID-19.

Faire de la vigilance aux chocs et aux perturbations une composante active de la gestion des territoires

Les changements globaux nous renvoient à ce qu’écrivait l’urbaniste Paul Virilio dès 2005 : « Si selon Aristote, l’accident révèle la substance, l’invention de la substance est aussi celle de l’accident ». L’invention de notre époque est celle des changements globaux et de leurs effets accidentels, insuffisamment considérés.

La dynamique de développement de l’humanité génère un nouveau paysage dont certains attributs sont néfastes : interdépendances accrues, interactions non maîtrisées, zones de fragilités, altération des ressources communes. Les crises fructifient dans ces déficiences, grandissantes au fil du temps. Aux différentes échelles géographiques, il faut réinvestir ces externalités délaissées pour les traiter et aussi pour réinterroger les faits générateurs.

Dans un contexte marqué par la variabilité de notre environnement, les savoir-faire-résilients ont vocation à devenir une composante active de la gestion des territoires. Les apports de la résilience complètent ceux apportés par la gestion conventionnelle des risques. Une perspective importante s’ouvre pour les prochaines années : définir et mettre en place dans les territoires des modalités d’une veille collective sur les perturbations de différentes natures qui peuvent se propager, de mobilisation des ressources et de structuration de réponses collectives à apporter, adossées aux dispositifs spécialisés de gestion des risques.

Faire face à un virus, à une sécheresse, à un épisode de pollution en adaptant la réponse à des conditions fluctuantes est une façon de renouer avec les savoir-faire ancestraux confrontés aux rythmes des saisons et aux caprices du temps. C’est sans doute adopter maintenant une culture du risque qui faisait défaut dans les années où le modèle de la protection était supposé assurer à lui seul la sécurité de fonctionnement des territoires. Sans renoncer à la protection, les nouvelles conditions des changements globaux font de l’observation, de la veille et de la surveillance une composante majeure de la gestion des territoires.

[a] L’approche « build back-better » est issue de la déclaration de Sendai (Japon) de 2015. Elle est référencée sous la rubrique 4-b qui mentionne que la gestion post-catastrophe est une fonction complexe et forte d’enjeux. Le relèvement implique un grand nombre de parties prenantes. Il conditionne le devenir social et économique d’un territoire. Le défi du relèvement est à préparer avec le souci d’éviter les errements antérieurs qui ont favorisé la survenue des dommages.

[b] Depuis 2007, la population urbaine mondiale est devenue plus nombreuse que la population rurale. D’ici, 2050, les projections montrent que l’Asie abritera 60 % de la population urbaine mondiale (Lussault, 2013).

Remerciements à Richard Cantin, Patrick Chotteau et Léona Trouvé pour leur précieuse relecture.

Éléments de bibliographie

Germanwatch, Global Climate Risk Index 2020 Who Suffers Most from Extreme Weather Events? Weather-Related Loss Events in 2018 and 1999 to 2018

Guézo Bernard, blog https://monitorage.fr/

La Fontaine, J. Fables, le chêne et le roseau

Lussault, M., Hyper-lieux, Les nouvelles géographies de la mondialisation, Seuil , 2017

Pigeon P., Rebotier J., 2017. Les politiques de prévention des désastres, penser et agir dans l’imperfection, Londres, ISTE Editions Ltd, 2017.

Virilio, P ., l’accident originel, Paris, Galilée, 2005

World Economic Forum, The Global Risks, Report 2020

Article publié le 22 juin 2020 sur Linkedin