« Anthropocène, effondrement, adaptation, résilience » : un cadre d’analyse et d’action à mettre au service d’une vision engageante de l’avenir.

Pour appréhender les changements globaux (CG) en cours, de nouveaux concepts ont vu le jour ces dernières années : anthropocène et effondrement, adaptation et résilience. D’origines différentes, largement débattus, ces concepts fondés tous sur l’idée de risque posent fondamentalement la question de leur contribution d’ensemble à l’édification d’une vision engageante de l’avenir.

La notion d’anthropocène tout d’abord signifie que l’activité humaine liée à l’ère industrielle agit aujourd’hui au niveau d’une force géologique. Par son empreinte, cette activité modifie le monde. Les transformations planétaires enclenchées sont rapides, accélérées et cumulatives. Issue des sciences géologiques, l’anthropocène ouvre sur les sciences de la terre et de la nature dans leur ensemble : terre, climat et vivant sont intimement liés dans leur histoire. Elle ouvre aussi sur les sciences de l’Homme (anthropologie en particulier). L’anthropocène recouvre ainsi les questions du changement climatique, de la biodiversité et des relations de l’homme à la nature.

La notion d’anthropocène génère deux conséquences majeures :

– elle bouleverse notre référentiel de connaissances conventionnelles pour y intégrer en force les interactions qui se produisent entre humains et non-humains.

– elle manifeste une moindre habitabilité croissante du monde, par effet en retour sur l’homme de son empreinte sur l’environnement.

Associée à la trajectoire actuelle de l’humanité, l’effondrement est une notion qui s’est affirmée plus récemment, par exemple en matière de biodiversité. Elle traduit les conséquences désastreuses, c’est-à-dire à la fois dommageables et irrémédiables, d’une inertie des sociétés industrielles à reconsidérer leurs valeurs fondamentales pour tenir compte de … l’anthropocène.

Cette notion recouvre des possibles effets en cascade ou emballements, liés à la convergence de différentes crises : écologiques, énergétiques, sociales, etc. ; configuration défavorable qui pourrait pour certains conduire à … un effondrement global. Intégrant ainsi « le pire scénario possible » auquel l’humanité est exposée du fait des CG en cours, l’effondrement est devenue la référence des lanceurs d’alerte et souvent de ceux qui adoptent des modes de vie radicalement alternatifs.

La notion d’adaptation est spécifiquement invoquée pour répondre aux conséquences inéluctables du changement climatique. Elle est héritée de la réduction de la vulnérabilité aux risques naturels. La place de ce principe directeur s’est affirmée dans la prévention des catastrophes à la suite de l’ouragan Katrina ayant affecté la Nouvelle-Orléans en août 2005. A la suite de ce désastre, il est apparu évident aux yeux de tous que prévenir la catastrophe ne pouvait se faire sans prendre en compte l’ensemble des vulnérabilités d’un territoire : organisationnelle et structurelle, sociale, économique et environnementale… comme les relations qui existent entre ces vulnérabilités de différents types.

S’adapter signifie par conséquent réduire sa vulnérabilité aux agents climatiques – tant par exemple une sécheresse qu’une inondation – en agissant simultanément sur les différents aspects précités. L’adaptation ne dispense pas, bien au contraire, d’agir pour réduire l’empreinte environnementale.

Utilisée de longue date dans différents champs disciplinaires (écologie, économie, psychologie), la notion de résilience s’est également affirmée comme pertinente pour la gestion des territoires confrontés à des défis [ayant souvent à voir avec l’anthropocène], c’est-à-dire à des enjeux qui ne peuvent être traités par des méthodes sectorielles et fonctionnelles. La résilience se pratique particulièrement dans les démarches dites de transition.

Révélant la fragilité extrême d’un pays industriel avancé, exposé à un aléa majeur, le tsunami du Japon de mars 2011 a joué un rôle dans la reconnaissance de la résilience comme une façon pertinente d’anticiper et d’affronter des aléas variables en occurrence ou en intensité, hybrides dans leur nature et incertains dans leur développement. De façon très différente, l’inventivité des habitants de la ville de Détroit (USA), a marqué les esprits sur ce que peut être la résilience d’une population affectée par un processus dommageable, ici de faillite économique et financière.

La résilience traduit la réponse dynamique apportée pour rebondir face aux agressions de toutes natures et à leurs effets. Elle implique en particulier :

– de faire le deuil d’un état passé « confortable » – qui ne sera plus – pour construire un nouvel état désirable profondément différent de l’état antérieur mais qui préserve l’essentiel.

– d’agir collectivement, en mobilisant des ressources insoupçonnées, pour relever les défis posés par les changements globaux.

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Pour répondre au défi des CG, ces quatre concepts nécessitent d’être reliés. Ensemble, ils définissent un cadre de réflexion, d’analyse et d’actions avec lequel il faut composer pour œuvrer dans le sens d’une sécurité globale des territoires, c’est-à-dire d’une sécurité qui prenne en compte tous les risques pouvant perturber les territoires sans exclure d’ailleurs les risques, qui se surajoutent, de malveillance.

S’engager ainsi dans les CG préside, espérons-le, à l’émergence d’une économie, plus fidèle à l’étymologie de « bonne gestion de la maison » ; économie plus globale donc que celle existante, dont Jean-Pierre Dupuy espère dans « L’avenir de l’économie 1» qu’elle sera plus morale et politique.

En définitive …

Définissant le champ des contraintes systémiques dans lequel nous évoluons et sur lequel nous devons agir, l’anthropocène est génératrice d’obligations des générations présentes envers les générations futures.

La résilience est un mode d’action approprié pour conduire nos sociétés tout à la fois à s’adapter et à réduire leur empreinte en mobilisant leur énergie, leur créativité et leurs savoir-faire. Elle implique de changer de façon de voir les choses.

Sans qu’il soit besoin d’aller jusqu’au pire scénario qui puisse survenir, l’effondrement invite à la responsabilité. L’urgence à agir qu’il motive renvoie au « catastrophisme éclairé » prôné par Jean-Pierre Dupuy. Pour ce philosophe et ingénieur « Le défi que posent les catastrophes majeures, qu’elles soient de type moral, naturel, industriel ou technologique, est que leurs victimes potentielles ont du mal à croire en leur imminence alors même qu’elles disposent de toutes les informations pour savoir que le pire est probable, sinon certain. Ce n’est pas le manque de connaissance qui implique que l’on n’agisse pas, mais le fait que le savoir ne se transforme pas en croyance. C’est ce verrou qu’il s’agit de faire sauter. La méthode du catastrophisme éclairé consiste à faire comme si la survenue de la catastrophe était notre destin, mais un destin que nous sommes libres de refuser […]. Cette fatalité une fois assurée cependant, produit l’élan moteur qui fait que se mobilisent des ressources d’imagination, d’intelligence et de détermination résolue, toutes nécessaires à la prévention de la catastrophe. 2»

Reste qu’invoquer la catastrophe et la possibilité de la prévenir n’est pas la seule voie à mobiliser pour bâtir des feuilles de route multiples et différenciées. Il faut certes parvenir à les mettre à l’agenda mais il est aussi important de les rendre motivantes et fédératrices. Cette composante de la résilience est nécessaire pour tourner le dos aux tentations du repli sur soi ou de la désespérance et édifier un avenir désirable supplantant les errements du présent.

Réussir dans cette voie implique la mobilisation non seulement des politiques, des scientifiques, des professionnels et des citoyens mais aussi des philosophes et des acteurs de la culture et des arts. Ces mondes producteurs de sens sont encore insuffisamment convoqués pour comprendre et rendre séduisant le futur qui s’ouvre à nous.

1 Jean-Pierre Dupuy, L’avenir de l’économie, Ed. Flammarion, Paris, 2012, 292 pages.

2 Ibid.