COP 2022 : quel écho dans les territoires ?

Alors qu’elles traitent de la disparition du vivant, les COP biodiversité attirent bien moins l’attention que les COP climatiques.

Pourtant, pour le Secrétaire général des Nations-Unies, « l’action climatique et la protection de la biodiversité sont les deux faces d’une même médaille ». C’est ce que déclarait Antonio Gutterez à l’ouverture de la 15ème Conférence des Parties de la Convention sur la Diversité Biologique (CDC), à Montréal le 7 décembre 2022 (1).

En 1992, la conférence de Rio avait reconnu la biodiversité comme essentielle pour la satisfaction des besoins alimentaires, sanitaires et autres de la population planétaire (2).

30 ans après, la COP 15 a donné lieu, le 19 décembre 2022, à un accord historique, adopté par 196 États.

Dénommé « Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal » [1], cet accord prévoit de préserver la biodiversité en protégeant 30 % de la planète d’ici 2030.

Monts-du-Lyonnais le 27 décembre 2022

Plus discrète que la COP 27 de novembre sur le climat, la COP 15 de décembre sur la biodiversité a donné finalement bien davantage de résultats. Tenue à Charm El Cheick en Égypte, la COP 27 avait mis l’accent sur la nécessité d’accentuer la solidarité envers les Pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Le principal engagement obtenu fut en fait celui de la création d’un fonds international de solidarité.

Changement climatique et effondrement de la biodiversité combinent leurs effets. Ils font peser ensemble des menaces majeures sur les écosystèmes, les diversités spécifique et génétique. Ils mettent également en jeu l’habitabilité de la planète, la sécurité alimentaire et la santé des populations, particulièrement les plus vulnérables.

Réserve de pêche anéantie par la sècheresse, Talissieu (Ain). Juillet 2022

La résilience éclipse le développement durable

A la globalisation financière et technologique succèdent aujourd’hui les changements globaux (3). Attisés par l’activité humaine, interagissant entre eux, ces changements accentuent des événements extrêmes et altèrent les milieux dans ce qu’ils ont « d’humain, d’écologique et de physique » [2].

Les technologies les plus performantes sont impuissantes à enrayer ces processus de grande ampleur qui mettent pourtant en jeu le vivant. Tout au plus, ces moyens modernes peuvent-ils retarder une évolution inéluctable ou contrer un événement catastrophique, mais sans pouvoir entraver par eux-mêmes leur cinétique de fond.

Dès lors que les changements globaux posent des questions de viabilité, de vivabilité et d’équité pour l’Humanité dans son ensemble, c’est l’idée même d’un développement humain durable qui est réinterrogée, tel qu’il était encore espéré lors du 4ème Sommet de la Terre à Johannesburg, en septembre 2002, il y a maintenant 20 ans.

Le triptyque du développement durable

La phrase du président Chirac prononcée à cette occasion « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » a pris depuis une dimension prophétique. Le développement durable cède la place maintenant à « l’Âge de la résilience » [3].

La résilience renvoie à la prévention des catastrophes

Parce qu’elle évoque le choc, la résilience renvoie à la notion de catastrophe dont une définition est donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir « une rupture grave du fonctionnement d’une communauté ou d’une société impliquant d’importants impacts et pertes humaines, matérielles, économiques ou environnementales, que la communauté ou la société affectée ne peut surmonter avec ses seules ressources ». La catastrophe prend communément la forme d’un « choc » destructeur, brutal, momentané et localisé.

À l’échelle de temps de la vie terrestre, la rupture introduite par les changements globaux peut être considérée comme quasi-instantanée. Cependant, elle ne l’est pas à celle de l’individu, la notre. Elle se déploie au fil des années, d’où la possibilité qui nous est offerte d’enrayer son développement. En outre, elle n’affecte pas tous les territoires en même temps et de la même façon. Ceci permet de mobiliser, en faveur des plus vulnérables, des ressources qui leur sont externes.

C’est bien au niveau des territoires et dans ce délai disponible que la résilience est attendue. La résilience vise à mobiliser l’énergie de ceux qui veulent changer le cours des choses dans le temps imparti pour le faire, selon le principe du catastrophisme éclairé défendu par Jean-Pierre Dupuy [4].

La catastrophe ouvre sur le « Mieux construire »

Alors qu’il était en 2006 chargé de mission pour l’ONU, l’ancien président des États-Unis, William Clinton, introduisit la notion du « Build Back Better ».

En réponse au tsunami d’Asie, qui avait ravagé en décembre 2004 les côtes indonésiennes au nord de Sumatra, il formula alors dix propositions pour mieux « construire » en anticipation d’une catastrophe. Beaucoup de ces propositions impliquaient les États et les organisations internationales.

La première dans la liste établissait cependant la nécessaire reconnaissance de la capacité des familles et des communautés à conduire leur propre « reconstruction ». La résilience était ainsi implicitement identifiée comme devant être première pour faire face à une catastrophe. Elle était rendue explicite dans la dixième proposition.

Extrait du rapport des Nations Unies de décembre 2006 [5].
Ce principe de résilience s’applique aux territoires exposés aux changements globaux. Cela soulève de nombreuses questions.

En effet, les communautés locales sont invitées à agir, mais sont-elles sensibles aux défis à relever ? Se sentent-elles investies d’une responsabilité de régénération de leur milieu de vie ? La vie associative est-elle en mesure de devenir le ferment de démarches de résilience différenciées selon les territoires ?

En France, la sécheresse de l’été 2022 a fait naître de fortes tensions sur l’usage de l’eau. Elle a mis à jour des fragilités territoriales et révélé des vulnérabilités sociales. Pour autant, les acteurs d’un territoire sont-ils prêts à se réunir en « COP locale de l’eau » comme le suggère très justement Manon Loisel [6] ?

Enfin, pour les professionnels, comment déployer une ingénierie du temps compté, selon l‘expression employée par l’urbaniste François Ascher (4) ? Une ingénierie qui soit en mesure de répondre aux défis des changements globaux.

Le sol, matrice du vivant

Dès lors que l’on se préoccupe du vivant, la question des sols devient centrale.

Le sol est en effet la matrice du vivant : « En remaniement continu, il n’est pas vivant en lui-même, à strictement parler, mais il contient la vie » [7]. Les sols représentent entre 50 et 70 % de la biomasse vivante des écosystèmes terrestres. Ils supportent le développement des arbres et des végétaux. Ils sont à la base de l’alimentation et procurent les antibiotiques dont nous avons besoin.

Marais de Lavours face au Grand Colombier (Ain)

Il y a bien longtemps, les sols ont rafraîchi le climat de la planète en captant du CO2. Aujourd’hui, ils peuvent, selon leur exploitation, dégager ou stocker des gaz à effets de serre. Les sols sont encore en relation avec l’eau dans tous ses états : liquide, gelé ou gazeux. La sécheresse des sols traduit le manque cruel d’eau.

La reconnaissance des sols comme patrimoine et comme écosystème majeur connecté aux autres écosystèmes est très récente. Sur le plan scientifique, elle date des années 90. Depuis 2014, le 5 décembre de chaque année est la journée internationale des sols. En France, la politique du zéro artificialisation net (ZAN) ambitionne de protéger les sols de l’urbanisation.

L’agriculture : un secteur d’activité placé en position critique

Au niveau des territoires, l’agriculture traduit particulièrement l’enjeu de la revitalisation des sols. Comme le préconise Jérémy Rifkin, il s’agirait en fait de passer d’une logique de production, échappant à la gestion locale alors qu’elle affecte le sol et l’eau, à une logique de création de richesses par la préservation et la régénération des ressources locales [3].

Les initiatives dans ce sens sont multiples : agriculture diversifiée de proximité, plantations de haies, permaculture, agroforesterie. Pour autant, elles restent souvent esseulées. Peut-on changer d’échelle ? L’agriculteur peut-il devenir le jardinier de la terre, celui qui donne sa place au vivant [8] ?

Agriculture périurbaine, Métropole de Lyon

De nombreux territoires se préoccupent du devenir de l’agriculture. Celle-ci est en effet confrontée à des injonctions paradoxales : interdiction d’intrants chimiques versus compétitivité économique, maintien des exploitations versus crise des vocations, exigence croissante des consommateurs versus changement climatique.

Ces territoires se dotent de projets alimentaires territoriaux (PAT) (5). L’agriculture est également entrée dans la planification de l’aménagement comme une activité vitale pour le devenir des territoires. Cela suffira-t-il à changer de paradigme ?

Manifestation d’agriculteurs à Lyon le 25 mars 2021

Le géographe Yves Poinsot pointe un paradoxe : « Les systèmes agricoles sont tenus de livrer une alimentation continue aux sociétés alors que la saisonnalité climatique introduit un caractère discontinu dans la temporalité des processus productifs de l’amont » [9]. Le défi pour la profession agricole est par conséquent de devoir renouer avec des fonctionnements cycliques dans un système de production dont la référence reste la productivité. Il est aussi de retrouver des régulations naturelles dans des espaces qui se sont urbanisés.

Son adaptation implique une mobilisation collective en faveur de modèles économiques qui tiennent davantage compte du cycle de la nature : saisonnalité, intempéries.

Repenser les temporalités, les dépendances et la valeur des choses

Renouer avec le vivant dans un monde perturbé par les changements globaux implique de redécouvrir les rythmes biophysiques.

Il ne s’agit pas de revenir au passé ! Les alternances jour-nuit comme les saisons imposaient des interruptions dans les activités. Les aléas météorologiques pouvaient anéantir les récoltes. La variabilité du régime hydrologique des fleuves et rivières perturbait l’approvisionnement des grandes villes. C’était le cas pour Lyon alimenté par les transports sur le Rhône et la Saône. Les villages de montagne restaient isolés pendant les longs mois d’hiver.

Les crises des derniers mois nous invitent cependant à repenser les temporalités, les dépendances, la valeur des choses.

Des régulations se mettent déjà en place à différents niveaux : recours aux énergies renouvelables, limitation raisonnée de l’éclairage public la nuit, promotion des produits agricoles saisonniers, chauffage sélectif des pièces d’une maison en fonction de leur occupation, etc.

La résilience implique une appropriation des enjeux par la population et les acteurs locaux. Elle implique ensuite leur engagement dans des projets porteurs de sens à l’échelle de la proximité. Ce fut le cas de la commune nouvelle de Le Méné dans les Côtes d’Armor. Les forces vives qui se déployèrent en son sein, à partir des années 2000, dessinèrent un devenir désirable au territoire. Elles insufflèrent une dynamique collective sur le sujet des énergies renouvelables [10].

Vers une gestion dynamique des territoires

C’est au niveau local que les effets des changements globaux sont palpables. C’est à ce niveau qu’il devrait être possible de dénouer des processus anthropiques et naturels de grande échelle, intriqués entre eux. Ceci suppose de libérer les énergies et de mobiliser l’intelligence collective.

La résilience pose la question des dispositifs de gestion qui pourraient demain utilement compléter les outils de la planification. La planification de l’aménagement est performante mais elle est statique. Les plans de sauvegarde, les plans de continuité d’activité sont opérationnels mais activés en période de crise seulement. Comment relier entre eux ces outils différenciés dans une dynamique d’ensemble ?

Une gestion des territoires, collective et rythmée par les changements en cours, est à inventer. Une gestion dynamique qui soit attentive à la préservation et à la régénération du vivant.

Ce monitorage [11] devrait assurer une triple fonction de compréhension partagée de la façon dont le territoire et les organisations se transforment, de veille collective sur les perturbations et d’incitation à l’adaptation permanente pour réduire la vulnérabilité et accroître la résilience.

Un vaste chantier de réflexion pour 2023.

Notes

(1) Cette conférence s’est en fait tenue en deux temps, d’abord du 11 au 15 octobre 2021 de façon virtuelle et pour partie en présentiel à Kunming en Chine, puis du 7 au 19 décembre 2022 à Montréal au Canada.

(2) 168 pays ont signé la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) adoptée à Rio en 1992. En signant ce traité, ils se sont engagés à la conservation de la biodiversité, à l’utilisation durable de ses éléments et au partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques.

(3) Par changements globaux, nous entendons des changements mesurables à l’échelle planétaire dont les effets dommageables sont perceptibles localement. Les changements globaux recouvrent le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et aussi la croissance démographique, l’urbanisation généralisée et encore la mobilité généralisée.

(4) François Ascher, Grand prix de l’urbanisme, est décédé en 2009.

(5) Les Projets alimentaires territoriaux (PAT) ont été introduits par l’article 39 de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAF) adoptée le 11 septembre 2014. Ils ont pour objectif de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines. Ils sont élaborés de manière collective à l’initiative des acteurs d’un territoire (collectivités, entreprises agricoles et agroalimentaires, artisans, citoyens etc.). https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-quun-projet-alimentaire-territorial.

Références bibliographiques

[1] Nations-Unies, Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, décembre 2022

[2] Augustin Berque, Écoumène, Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 1987 (2016), 447 p.

[3] Jérémy Rifkin, L’Âge de la résilience, Paris, Ed. Les liens qui libèrent, 2022, 361 p.

[4] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Ed. Seuil, coll. Points, 2002, 215 p.

[5] Nations Unies, Lessons learned from tsunami recovery, Key Propositions for Building Back Better, A Report by the United Nations Secretary-General’s Special Envoy for Tsunami Recovery, William J. Clinton, décembre 2006

[6] Manon Loisel, Verra-t-on des gilets jaunes de l’eau ? Alternatives économiques, 16 décembre 2022

https://www.alternatives-economiques.fr/manon-loisel/verra-t-on-gilets-jaunes-de-leau/00105444

[7] Marc-André Selosse, L’origine du monde, une histoire naturelle du sol à l’intention de ceux qui le piétinent, Actes Sud, Arles, 2021, 468 p.

[8] Gilles Clément et Sébastien Thiéry, Partout favoriser la vie, dans CRITIQUE, Revue générale des publications françaises et étrangères, Vivre dans un monde abîmé, Paris, 2019, 190 p. pp. 56-69

[9] Yves Poinsot, La renaturation des systèmes agricoles à la lumière de l’opposition continu / discontinu dans Continu et discontinu dans l’espace géographique, ouvrage collectif, Presses Universitaires François Rabelais, 2008, 442 p. pp. 263-277.

[10] La commune Le Mené

https://www.mene.fr

[11] Bernard Guézo, Continuité d’activités : de la planification au monitorage, IMDR, Les Entretiens du risque 2021,

https://hal.univ-reunion.fr/CRC-PARISTECH/hal-03435429v1

Crédit photographique :

Bernard Guézo