Les apprentissages de la COVID-19 : la dynamique globale

Alors qu’en 2019 le monde prend plus que jamais conscience de l’urgence climatique, c’est une pandémie qu’il affronte en 2020. Depuis bientôt un an, cet événement – majeur par ses effets, inédit par son ampleur, ses avatars et sa durée – est placé sous les feux de l’actualité. Ces feux tout à la fois cristallisent les inquiétudes et nourrissent les espoirs suscités par une situation contrôlée sans être encore maîtrisée. En ce début d’année 2021, apprendre de façon distanciée est cependant nécessaire pour se démarquer des contingences d’une épreuve dont les développements à venir restent inconnus. Poursuivant cet objectif d’une prise de recul sur la crise de la COVID-19 et sa gestion, cet article traite du développement de la dynamique globale induite par le coronavirus et campe la situation en ce début d’année 2021.

Lever du jour en Saône et Loire en tout début d’année 2015. Photographie Bernard Guézo, 2 janvier 2015.

1-Une crise globale marquée du sceau de la complexité

Associée à l’année 2020, la pandémie de la COVID-19 [a] trouvera une place de choix dans le panorama des catastrophes ayant marqué l’histoire de l’humanité. S’il est trop tôt pour estimer le nombre de victimes directes d’une infection encore très active début 2021 [b], l’on sait déjà que le bilan humain sera lourd dans un certain nombre de pays. De plus, le virus aura perturbé – en profondeur et durablement – la vie des personnes, des organisations et des territoires. De nombreux indicateurs témoignent des dommages humains, économiques et sociaux majeurs d’une crise sanitaire sans équivalent depuis un siècle par son ampleur et sa durée. En même temps, les multiples enseignements produits sont précieux pour réduire les vulnérabilités collectives et individuelles, qui peinaient préalablement à être prises en compte ou simplement reconnues, et pour favoriser des sociétés plus résilientes.

Au-delà des dommages directs et indirects, la crise virale a bousculé les choses. Si des solidarités se sont exprimées, si des aides sont apportées, l’inquiétude prévaut car les références antérieures à la survenue de la pandémie se sont brouillées sans que de nouveaux repères n’aient véritablement pris la relève. A court terme, les modes de vie et les activités se sont fortement contractés sans que l’on sache ce qu’il sera possible de faire demain dans l’incertitude du devenir de la contrainte sanitaire.

Les analyses disciplinaires de la crise témoignent pour beaucoup du désarroi ambiant. Ainsi, si le philosophe Bernard-Henri Lévy retient du virus qu’il rend fou [c], l’écrivain et philosophe Roger-Pol Droit, reprenant à son compte la phrase de Nietzsche « ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude », relève que nous avions préalablement beaucoup de folies à cause de certitudes qui se révèlent maintenant fragiles [d]. Là où le géographe Michel Lussault diagnostique un virus « hyper-spatial », l’historien Jean-Noël Jeanneney fait valoir la façon dont l’agent infectieux donne lieu à une métaphore guerrière [e]. Considérant que les politiques et les intellectuels sont justement en retard d’une guerre, le prix Nobel d’économie Jean Tirole [f] regrette qu’un fossé se soit creusé entre notre perception du monde et sa réalité.

S’entrecroisant sans toujours se rencontrer, les regards portés par les personnalités qualifiées ne suffisent pas à rendre compte de la texture kaléidoscopique de la crise pandémique, tout simplement marquée du sceau de la complexité.

Reste que cette crise ne peut être dissociée des changements globaux en cours. A l’occasion de la première journée internationale de préparation aux épidémies, le 27 décembre 2020, le directeur général de l’OMS invite les États à s’atteler aux causes profondes des dérèglements sanitaires. Pour Tedros Adhanom Ghebreyesus, la pandémie met en évidence les liens intimes entre la santé des humains, des animaux et de la planète.

2- Dans le monde, l’émergence du phénomène infectieux et sa propagation

Si la pandémie de la COVID-19 est souvent comparée à une inondation qui submerge par vagues successives ceux qui y sont exposés, son émergence, comme aléa territorial, s’apparente davantage à la propagation d’un incendie de forêt dont la maîtrise n’a pas été assurée à son éclosion. A défaut d’être contenu dans ses premiers développements, le feu peut poursuivre son œuvre destructrice tant qu’il trouve de la matière combustible à consommer.

Sans qu’il s’agisse ici de s’avancer sur les facteurs ou les raisons vraisemblablement multiples qui ont présidé à l’émergence de la pandémie, sa diffusion initiale révèle l’absence d’activation ou l’insuffisance de barrières qui auraient pu la circonscrire à la source. Faisant fi des dispositifs de détection précoce et de surveillance, l’agent infectieux 2019-nCov, désigné par la suite sous l’acronyme COVID-19 (Corona Virus Disease 2019), s’est rapidement propagé à l’échelle planétaire début 2020. Quelques jalons chronologiques connus sont utiles à rappeler.

Le 31 décembre 2019, la Commission sanitaire municipale de Wuhan (Chine, province de Hubei) signale un groupe de cas de pneumonies. Quelques jours après, le 11 janvier 2020, la Chine rend publique la séquence génétique du virus de la COVID-19. Dans les jours qui suivent, le 22 exactement, le premier constat d’une transmission interhumaine est établi mais, alors que cette donnée doit encore être confirmée, le virus a déjà diffusé sur la planète.

En effet, dès le 13 janvier, une occurrence de la maladie est signalée en Thaïlande, tandis que le virus se manifeste aux États-Unis le 22. Il a parallèlement diffusé en Europe : des premiers cas sont identifiés en France le 24, puis en Allemagne le 27, encore en Italie et au Royaume-Uni le 31 et en Espagne le 1er février. En un mois seulement à partir de sa révélation, les conditions initiales d’une pandémie sont remplies. Si fin janvier, la très grande majorité des 7 818 cas signalés par l’OMS se situent en Chine, foyer initial de l’épidémie, 82 cas hors de Chine se répartissent dans 18 autres pays. Le virus a essaimé.

Pour lutter contre la diffusion de la COVID-19 en son sein, la Chine applique des mesures sanitaires drastiques. Elle met également à l’arrêt son activité, faisant par-là même craindre des répercussions majeures en cascade sur l’économie mondiale dont elle détient de nombreuses chaînes de valeurs. Ces mesures portant leurs fruits, l’économie chinoise repart. Le PIB s’effondre au 1er trimestre puis se redresse les trimestres suivants. Aux États-Unis et en Europe, l’épidémie n’est pas contenue et poursuit sa dynamique infectieuse.

En l’absence d’une réplique internationale coordonnée, confrontés à l’inédit de la situation, les États européens apportent des réponses distinctes. Souvent hésitantes, ces réponses sont tributaires des évolutions d’une dynamique infectieuse se déployant à une échelle continentale. Les temporalités de gestion s’entrechoquent dans une ingénierie du temps compté (François Ascher) mêlant l’urgence de la crise aux mesures plus structurelles de prévention du risque sanitaire. Face à l’éclosion de situations critiques, la résilience se révèle une modalité d’action adaptée pour passer les caps les plus difficiles.

3- En France, de la réponse sanitaire à une réponse plus globale

Une stratégie sanitaire devient sanitaire et territoriale

Une fois l’agent infectieux diffusé, sa dynamique prévaut sur la gestion sanitaire tant qu’un vaccin n’est pas disponible, et ce malgré les lignes de défense successives mobilisées pour tenter de le contenir. Contrôler l’épidémie, à défaut de la maîtriser, nécessite de recourir à une gestion globale associant dans la durée mesures sanitaires et mesures territoriales.

En France, selon l’analyse faite par le Centre européen de contrôle et prévention des maladies infectieuses (ECDC), le risque de propagation de la COVID-19 est considéré le 22 février 2020 comme faible si les cas «confirmés» sont détectés précocement et que des mesures de contrôle adéquates sont mises en place immédiatement [g]. Dite « d’endiguement », la stratégie sanitaire initiale vise à freiner l’introduction du virus dans le territoire puis à empêcher sa propagation. Les premiers clusters ne parviennent cependant pas à être circonscrits. Une phase ascendante de l’épidémie s’amorce qui se poursuit jusque fin mars.

À la prise en charge individuelle a succédé l’action collective. Une nouvelle stratégie sanitaire vise en effet à l’atténuation des effets. Elle couvre l’hospitalisation des malades les plus gravement atteints, la prise en charge des autres malades et la protection des populations fragiles. Ces conditions favorables ne sont cependant pas satisfaites. L‘efficacité des mesures sanitaires est limitée par les capacités d’accueil du système hospitalier et l’absence de traitements efficaces de la nouvelle maladie infectieuse. Celle-ci se diffuse.

Pour garder le contrôle de l’épidémie, les mesures prises doivent alors impliquer la population dans son ensemble, sans se limiter au suivi des personnes infectées. Éviter la submersion des hôpitaux, par l’afflux de cas graves ne pouvant être pris en charge, nécessite en effet d’adosser l’action sanitaire sur une gestion territoriale du risque. Tandis que les gestes barrières sont instaurés, avec la règle de distanciation entre les personnes pour limiter les contacts interpersonnels, différentes mesures de police administrative sont adoptées comme l’interdiction des grands rassemblements. Lorsque le risque épidémique augmente, certaines activités propices aux regroupements, et par conséquent à la diffusion du virus, sont stoppées tandis que la population est incitée à rester chez elle.

Face à un aléa menaçant qui n’est pas maîtrisé, la mise à l’abri (sur place ou par éloignement géographique) est la mesure de protection conventionnelle d’une population potentiellement exposée. Dénommée confinement, la mise à l’abri in situ est la forme adaptée à un aléa sanitaire. La mesure protège en effet de l’infection et évite la propagation du virus en limitant les échanges sociaux et les déplacements de la population.

Une dynamique globale se met en place

Le confinement affecte la mobilité et restreint les activités économiques et sociales à la seule satisfaction des besoins élémentaires : santé, alimentation. Pour être un complément indispensable aux mesures médicales, la restriction des mouvements et des activités a un coût humain, économique et social très élevé, fonction de la sévérité et de la durée des mesures prises.

Deux éléments facilitent l’acceptabilité d’une mesure sans précédent : le confinement. Tout d’abord, l’outil numérique est mobilisé pour satisfaire des besoins essentiels : école à distance, télétravail, mise en relation des familles et les amis dans l’impossibilité de se retrouver autrement. Ensuite, les populations urbaines disposant de la possibilité de se confiner à la campagne ont la possibilité de le faire. Pour autant, le confinement et les mesures associées de restriction des activités induisent des privations affectives, culturelles, cultuelles qui altèrent en profondeur la vie de la population. Les catégories sociales les plus pauvres et les plus vulnérables sont particulièrement touchées.

La réponse apportée par le confinement du printemps donne des résultats sans parvenir à éliminer la dynamique infectieuse. La mesure d’isolement généralisé permet en effet la décroissance de la vague épidémique. Cependant, en fin d’été, alors que les activités reprennent, le virus regagne en virulence jusqu’à produire une deuxième vague épidémique. Un nouveau confinement s’avère alors nécessaire à l’automne. Plus souple et plus court, celui-ci est aussi moins efficace.

Possiblement porté par le rythme des saisons, le phénomène peut se poursuivre ensuite par une succession de vagues épidémiques et de restrictions aux libertés de mouvement et aux activités, prenant la forme d’une dynamique globale auto-régulée, sans vainqueur ni vaincu.

Alors que le bilan de la pandémie s’alourdit au fil du temps, le risque est aussi celui d’une mutation du virus, accentuant sa dangerosité ou sa contagiosité. L’espoir de mettre fin à la dynamique infectieuse réside pour l’essentiel dans la vaccination, débutée aux États-Unis le 14 décembre et en France le 27. Cette perspective encourageante intervient alors que l’annonce a été faite le 20 décembre par le 1er ministre anglais, Boris Johnson, d’une variante plus contagieuse de la COVID-19. Cette variante a été identifiée par la suite en France et dans d’autres pays européens.

4-La situation en ce début 2021

En 2020, la dynamique infectieuse de la COVID-19 a pris le dessus. Les différentes lignes de défense habituellement mobilisées pour contrôler une maladie infectieuse n’ont pas permis d’éviter la pandémie. Tout d’abord, le coronavirus n’a pu être contenu dans sa phase d’émergence. Ensuite, sa propagation n’a pu être évitée à l’échelle mondiale. En France, la réponse apportée n’a pu empêcher la diffusion de la maladie contagieuse au sein de la population. Les mesures prises n’ont, pas à ce jour, mis fin à l’épidémie.

En ce début 2021, l’horizon s’éclaircit avec la perspective des campagnes de vaccination aux effets positifs probables à la fin du 1er semestre. Une nouvelle ligne de défense est ainsi rendue possible : la réponse immunitaire. Les conditions de réussite de la vaccination sont cependant un nouveau défi à relever alors même que l’incertitude demeure sur les développements épidémiques des premiers mois de l’année dans le contexte devenu celui d’une mutation du virus.

Pour autant, comme on peut le penser en première analyse, la gestion de l’épidémie s’inscrira-t-elle dans une course de vitesse entre ces deux seuls processus : la montée en puissance de la vaccination, la mutation du virus, selon une variante plus infectieuse ? Ce n’est pas sûr, car d’autres avatars peuvent encore survenir tout au long des mois à venir avant que la dynamique infectieuse ne cesse véritablement.

S’il faut effectivement mettre l’accent sur la vaccination, la réponse ne peut être unique. Face à la complexité sous-jacente à la perturbation épidémique en cours, aux autres aléas qui peuvent survenir, la réponse globale reste pertinente. Elle invite à travailler les différentes composantes d’une gestion anticipatrice visant tout à la fois à réduire les vulnérabilités – humaines, organisationnelles et structurelles – à favoriser les résiliences – collectives et individuelles. La réponse globale appelle également à renforcer les dispositifs spécialisés concourant au bien commun comme autant d’outils précieux à (re)valoriser, le système de santé en particulier mais pas seulement.

Un « monitorage » associé à la crise de la COVID-19, distancié de son actualité événementielle, apparaît indispensable. Il s’agit de tirer profit des apprentissages pour orienter l’action de multiples façons et l’inscrire dans différentes temporalités. Cette prise de recul est nécessaire pour éclairer cette réponse globale et faire face du mieux possible aux développements inconnus restant encore à venir.

Remerciements à Christian Sanchidrian, AFPCN, pour sa relecture critique et son éclairage précieux pour appréhender une réalité complexe, celle de la crise de la COVID-19.

Notes de bas de page

[a] Le nom a été féminisé par l’Académie française bien que l’usage masculin se soit préalablement répandu.http://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19

[b] En France, le virus a produit une surmortalité trois fois supérieure à celle induite par la canicule de 2003.

[c] Bernard-Henri Lévy , Ce virus qui rend fou, Grasset, juin 2020

[d] Entretien sur France Culture le 30 mars 2020

[e] Jean-Noël Jeanneney, Virus ennemi, discours de crise, histoire de guerres, Gallimard, juin 2020

[f] L’Opinion, 5 avril 2020

[g] Guide méthodologique Préparation au risque épidémique COVID-19, Ministère des Solidarités et de la Santé, 22 février 2020

Les sources de la chronologie des événements du début 2020 sont OMS et Université John Hopkins.