Le monitorage des territoires : un cadre pour favoriser la résilience

Après le répit de l’été 2020, une reprise du COVID-19 est observée en France et en Europe. À la reprise de septembre, nul ne sait quelle sera l’intensité de cette nouvelle vague épidémique, quels seront ses effets sur la santé des populations et quelle sera la pression qui s’exercera sur le monde hospitalier. Un nouveau choc peut-il se produire ? Les incidences sur la vie économique, les incertitudes sont grandes. Les secteurs d’activité élaborent différents scenarii selon les contraintes qui peuvent peser, sans qu’il soit possible aux responsables de savoir à ce stade de quel scénario la réalité de l’automne 2020 se rapprochera le plus.

Activée aujourd’hui par un aléa sanitaire, la résilience s’impose aux acteurs des territoires pour anticiper ou faire face du mieux possible à des perturbations qui peuvent être de grande ampleur. Mais quel cadre peut-on donner pour favoriser celle-ci et la rendre mobilisable dans les situations critiques les plus diverses ? La démarche que nous proposons est celle de monitorage des territoires consistant tout à la fois à apprendre des changements globaux en cours, à veiller sur les perturbations possibles et surtout à dessiner un avenir désirable incitant à développer des projets de transformation.

Granville (Manche) le 30 octobre 2018. Bateaux protégés dans le port. Photo Bernard Guézo.

Le territoire, terreau de la résilience

Les perturbations que les territoires sont susceptibles de connaître peuvent résulter aussi bien d’une épidémie ou d’une pandémie – comme c’est le cas aujourd’hui – que d’une catastrophe naturelle ou technologique, d’un épisode de pollution atmosphérique intense, d’une canicule intense, de la rupture d’un réseau structurant ou encore de restrictions sévères dans les usages de l’eau, les consommations d’énergie ou les approvisionnements. L’actualité livre chaque année son lot de situations critiques qui relèvent de l’une ou de l’autre de ces catégories.

La résilience ne se limite pas au temps de l’urgence. Dans l’accélération que nous vivons depuis quelques années, elle est convoquée pour se relever des chocs comme pour accompagner les transformations de nos modes de pensée, de nos façons de faire et de vivre, rendues nécessaires pour composer du mieux possible avec les changements qui s’imposent à nous.

Ainsi, passé le temps du confinement du printemps 2020, composer avec le coronavirus invite pour une longue durée à une gestion agile. Les entreprises et administrations changent leurs pratiques pour les concilier avec des gles ajustables aux évolutions de la situation sanitaire. Ces mesures organisationnelles préfigurent des transformations territoriales importantes comme celles induites par l’extension inattendue de la pratique du télétravail. Des adaptations structurelles affecteront vraisemblablement le marché de l’immobilier, l’aménagement urbain, les formes de mobilité. Ces transformations ont vocation à se combiner avec les nécessaires adaptations aux autres changements globaux en cours parmi lesquels figure le changement climatique.

Par « changements globaux », nous entendons ici les changements mesurables à l’échelle planétaire, dont les effets sont perceptibles aux échelles locales et dans notre vie quotidienne. Sont concernés, le climat, la biodiversité, la démographie planétaire et aussi l’urbanisation généralisée. Ferment de ces changements : l’activité anthropique qui perturbe de différentes façons les équilibres naturels et humains. Ainsi, l’hyper-connexion des espaces urbanisés se révèle être un facteur de propagation rapide des aléas sanitaires.

Face à des situations changeantes et inédites, le territoire est de plus en plus perçu comme la bonne échelle d’expression de la résilience. Celui-ci est au plus près de la réalité de terrain faite d’interrelations entre des entités de natures différentes. Le territoire a vocation à devenir le terreau de la résilience.

Vers un monitorage des territoires

La résilience n’est pas une notion facile à maîtriser ; chaque partie prenante la pratique au cas par cas et au gré des circonstances. Elle n’est pas une compétence exercée par une collectivité ou une autre. C‘est pourquoi, comme espaces géographiques de relation entre une société et une étendue de l’espace terrestre, les territoires ont un rôle de premier plan à jouer pour la favoriser. C’est là où se projettent des représentations, des problèmes comme des projets (Di Méo).

Pour ce faire, nous préconisons des démarches dites de « monitorage des territoires » conduisant tout à la fois à partager avec toutes les parties prenantes concernées les apprentissages à effectuer sur les changements globaux, à contribuer à une veille territoriale sur les perturbations possibles et surtout à dessiner un avenir désirable pour les habitants et les entreprises.

Assurer les apprentissages des changements globaux en cours

Les défis auxquels les territoires sont confrontés sont marqués du sceau de la complexité. Alors que la connaissance scientifique des processus physiques à l’œuvre est déjà très documentée, un travail d’identification et d’appropriation des enjeux est à mener au sein même des territoires. La population sera-elle partie prenante de démarches de réflexion à conduire ? Les agents publics et privés seront-ils acteurs de cette réflexion ? Les expertises locales et les ressources externes seront-elles identifiées et valorisées ?

Assurer une veille territoriale sur les perturbations possibles

Sans que le fait soit nouveau en soi, la crise du COVID-19 montre qu’un petit aléa (un virus ici) peut occasionner des effets majeurs : mise sous tension du système de santé, arrêt des activités économiques, interruption de la vie associative. Aux différentes échelles de territoires, les dispositifs d’observation, de planification et de gestion sont multiples. Si leur performance individuelle peut toujours être améliorée, les avancées en matière de résilience viendront pour beaucoup de la capacité des acteurs concernés à s’identifier, à croiser leurs approches et à se relier préalablement aux situations perturbées.

Ouvrir des voies vers un avenir désirable

Anticiper les perturbations ne dispense pas – bien au contraire – de dessiner un devenir désirable des territoires. Un horizon engageant est à profiler dans les champs économiques, sociaux et environnementaux. Dans ces différents champs, de nombreuses initiatives sont déjà prises plaçant les transitions au cœur des projets. Ces savoir-faire, souvent dispersés, gagneraient à être mis en relation. Leur diversité est de nature à susciter une dynamique de projets de plus grande ampleur, porteuse de sens et fédératrice.

Quelques pistes concrètes

De façon concrète, constituer un terreau propice à la résilience, c’est susciter des mises en relation de citoyens, d’associations, d’institutions sur des projets simples répondant aux principes précédemment énoncés. Ces principes ne peuvent être dissociés : comprendre les enjeux, c’est poser la question des risques et aussi s’interroger sur les projets de transformation à mener ; et inversement. La dynamique obtenue en partant de l’un ou l’autre de ces aspects importe autant que le résultat recherché. Les liens tissés entre les parties prenantes priment sur le délai de réalisation ; la conscience partagée des enjeux l’emporte sur la performance d’une analyse. L’essentiel est dans la « mise en mouvement » des parties prenantes du territoire, accompagnée des expertises nécessaires.

A titre d’exemple, dans le contexte post-covid-19, permettre aux entreprises d’échanger sur la place du territoire dans leur capital immatériel, n’est-ce pas une façon de tisser du lien entre les acteurs et de renouveler le regard porté aux atouts et aux faiblesses du territoire ?

A l’échelle d’une intercommunalité ou d’un bassin de vie, une assemblée apprenante d’acteurs peut travailler sur les composantes essentielles du territoire, ses fragilités, ses ressources. Un prestataire d’étude peut accompagner la démarche et approfondir des questions soulevées lors de la réflexion collective.

Réunir à l’échelle d’une commune les techniciens des espaces verts, les associations en charge des milieux naturels, les utilisateurs de jardins partagés et encore de simples particuliers disposant d’un jardin, n’est-ce pas une façon de promouvoir le végétal en ville ? Partager de la sorte des pratiques, des savoir-faire, des questionnements peut poser les jalons de projets plus conséquents.

Les écoliers peuvent également étudier le cycle de la nature, sa préservation et les enjeux du recyclage. Partant de leur regard neuf, une rencontre élargie à des acteurs très divers peut enclencher une dynamique locale mobilisant des premières initiatives repérées.

Un autre chantier peut s’ouvrir sur l’apprentissage des savoir-faire : coudre un masque, réparer un outil, cuisiner des produits frais et locaux, bricoler, développer la créativité culturelle. Des ressources insoupçonnées sont susceptibles de se révéler pour ces arts pratiques auxquels les anciens peuvent prendre plaisir à contribuer.

La crise du COVID-19 a révélé les possibilités offertes par le numérique comme ouverture aux autres et au monde. Les sites internet des collectivités publiques pourraient être des relais de démarches de résilience, telles que celles décrites ci-dessus, en complément de leur fonction première d’informer sur les activités propres à la collectivité.

En partant de projets simples, une toile humaine active se tisse progressivement. Attentive aux changements globaux, elle relie des idées, des préoccupations, des initiatives, des données et des expertises. Elle suscite des projets. Les trois fils du tissage sont ceux de la compréhension des changements en cours, de la vigilance aux perturbations et aux chocs et du développement de projets de transformation des pratiques et des modes de faire. En s’inscrivant dans ce monitorage, l’habitant, l’entreprise, l’organisation deviennent des parties prenantes de la résilience de leur territoire.

Donner à la résilience un terreau, dans lequel elle puisse « s’enraciner », est un travail de longue haleine. Ceci nécessite de passer d’un territoire aujourd’hui constitué d’acteurs institutionnels, professionnels ou associatifs souvent faiblement reliés entre eux à un territoire où les acteurs prennent leur part du devenir collectif dans un monde plus risqué. Cette transformation, sinon culturelle du moins des pratiques, la crise du COVID-19 et les autres changements globaux en cours nous y invitent.

Article publié sur Linkedin le 2 septembre 2020
Adapté de l’article « Le territoire, terreau de la résilience, Rencontre avec Bernard Guézo, publié dans la revue « Le mag des territoires » n°1 juillet, août, septembre 2020.